Kelly : Dieu était aux commandes !

Daniel Schneidermann - - Déontologie - Le matinaute - 91 commentaires

C'était donc Dieu qui était aux commandes ! Christine Kelly raconte son émission Face à l'info, sur CNews, aux côtés de Zemmour. Elle raconte son désarroi de chaque soir.  chaque fois, je me dis : c’est ce sujet-là qu’on va aborder ? Qu’est-ce que je pourrais bien dire ? Je me tais. Dieu, tu prends les rênes […] Je me suis complètement effacée derrière Dieu et je l’ai laissé piloter, tout piloter." "Waouh !" fait l'animateur, le pasteur Ivan Carluer. L'ex-membre du CSA déroule son récit à Créteil (94), devant les fidèles de l'église pentecôtiste Martin Luther King. La foule, que l'on ne voit pas, est enthousiaste. L'animateur de la séance trépigne de joie. Kelly elle-même est transportée d'extase.

Cette vidéo, brusquement apparue sur les réseaux le week-end dernier alors qu'elle avait été enregistrée le 27 mars (voir l'intégrale ici), n'a encore suscité que peu de réactions politiques. Imagine-t-on une animatrice d'émission avouer que Allah lui a soufflé d'appeler à voter Mélenchon ? s'est simplement interrogé, sur Twitter, le socialiste Olivier Faure. 

Je n'aurais aucun commentaire particulier à faire ici sur la foi de Christine Kelly, si sa présence, à l'époque, n'avait pas été avancée par Vincent Bolloré comme élément modérateur de l'émission de Zemmour ("pas tous, Éric, pas tous !"), lui-même multi-condamné pour provocation à la haine. Que connaissait Bolloré de l'état fanatique de son animatrice ? Lui a-t-elle raconté qu'elle tombait "genoux à terre" dans les toilettes avant les émissions, pour solliciter l'Inspiration divine ? À cette lumière nouvelle, il apparaît que Face à l'info ne fut pas seulement l'émission islamophobe qu'elle assumait d'être, mais l'instrument d'une tentative de créer, en France, une belle et bonne guerre de religions. Reporters sans Frontières vient de saisir le Conseil d'Etat d'un recours contre l'inaction de l'ARCOM à l'encontre de CNews, chaîne qui s'assied sur tous ses engagements. Il est déjà bien tard.

C'est une coïncidence, mais cet aveu sidérant survient au moment où, sous une même pression religieuse, la Cour suprême américaine balaie l'interdiction de l'interdiction de l'avortement (oui, c'est compliqué, lisez bien, et regardez donc notre émission de la semaine). Si la vidéo de Kelly est terrifiante, ce n'est pas en dépit de l'atmosphère de bienveillance émerveillée qui s'en dégage. C'est cette bienveillance elle-même qui terrifie, quand on sait ce qu'elle pourrait cacher de mort et de malheur. Oui, le fanatisme religieux peut avoir ces accents enthousiastes. Oui, le Spectacle s'y entend à brouiller les pistes, et c'est au sein d'une église ironiquement baptisée du nom de Martin Luther King que l'on peut ainsi, sans doute  en toute bonne foi pour bien des fidèles, acclamer une servante de la haine.

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