États-Désunis d'Amérique

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 177 commentaires

Si la décision de la Cour suprême américaine, renvoyant aux États le pouvoir de légiférer sur l'avortement – et donc de l'interdire – est un tel coup de tonnerre en Occident, c'est parce qu'elle dépasse et le cas de l'IVG, et celui des États-Unis. On n'en saisit la mesure que mise bout à bout avec le coup d'État trumpien manqué du 6 janvier 2021. Elle dit d'abord que, pas plus que toute construction politique, l'entité "États-Unis d'Amérique" n'est définitive. Au fil des dernières années, on s'est acclimatés ici à l'idée de l'éclatement possible de l'UE. On se refuse encore à celle de l'éclatement des USA, dont la mythologie fondatrice est si ancrée en nous par Hollywood. Et pourtant !

Il suffit, pour s'en rendre compte, de prendre la mesure de l'impressionnant arsenal législatif voté, ou encore à voter, par la Californie – tel que raconté par le Monde  qui se propose de prendre la tête des États pro-choix : cela signifie accueillir, frais de transport et d'hébergement payés, toutes les Américaines désirant avorter. Déjà promulgué : les compagnies d'assurance santé seront obligées de prendre intégralement en charge les frais d'IVG. Encore à discuter : ces mêmes compagnies n'auront pas le droit de partager leurs informations avec les États criminalisant l'avortement. Le conseil de l'ordre californien ne pourra retirer son autorisation d'exercer à un médecin sanctionné par un autre État. Etc etc. Il faut être bien myope pour ne pas voir se dessiner une partition du pays.

Plus largement, le "cloaque d''extrême droite" (Jane Fonda) de la Cour suprême américaine fait savoir au monde qu'aucun progrès de civilisation n'est jamais définitivement acquis. "Graver dans la Constitution" le droit à l'IVG, comme le propose depuis ce week-end la Nupes aussitôt suivie par la Macronie, outre que cela ouvrirait une campagne référendaire où se déchaînera sur CNews et ailleurs tout ce que la France compte de fous de Dieu, suffira-t-il à le protéger ? Dans son éternel match retour contre la Raison et les droits humains, Jésus Christ (ou Allah, ou Jehovah, ou Vichnou), ne s'avouera jamais battu. Toujours, puissamment armé, il guettera sa revanche.

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