Hanouna : soir de relâche pour les petites pancartes

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 150 commentaires

On apprend tous les jours. Ce mardi, Cyril Hanouna a appris quelque chose. "Moi je savais pas du tout que les chercheurs au CNRS pouvaient faire des recherches sur la télévision. Je croyais qu'ils cherchaient des vaccins, des trucs comme ça". Sacré mardi. L'Humanité a traité à la Une l'enquête de Claire Sécail, chercheuse au CNRS, sur la surreprésentation de Zemmour chez Hanouna, que je vous recommandais dès jeudi dernier. Sonia Devillers a invité la chercheuse dans son émission de France InterHanouna : "Je rappelle que le CNRS, c'est nous qui le payons, c'est un truc de l'État." Et ne rions pas trop : "C'est très dangereux ce que fait cette dame, parce que tous les gens qui regardent pas TPMP se disent : c'est une émission qui fait de la promotion pour Zemmour".

Bien obligé, Hanouna répond donc sur les temps d'antenne dans cet extrait tweeté par l'émission. 


À quoi Sécail a répondu elle-même sur Twitter que les déséquilibres étaient corrigés par C8 en glissant des discours de gauche à 6 h du matin.  Rééquilibrage nocturne maintes fois souligné ici.

Donc si Hanouna, promis, n'a pas surinvité Zemmour, "on va pas se mentir, Éric Zemmour, c'est toujours un carton d'audience, et c'est lui qui fait parler de lui." Tropisme apolitique, donc. "Si demain Jadot crée un buzz, on invitera Jadot" (Matthieu Delormeau, chroniqueur). D'ailleurs, on parle d'invisibilité de la gauche, "mais ils veulent pas venir" (Hanouna). Il faudrait savoir. Avec ou sans buzz, Jadot aura-t-il droit à son émission ?

N'empêche, "France Inter, ils ont fait une demi-heure là-dessus ce matin. Première radio de France. Vous vous rendez compte ?" Qu'on ne s'y trompe pas, "moi je suis heureux qu'on nous regarde comme ça." (Hanouna). Si "France Inter a fait une demi-heure", Hanouna, lui, va bien consacrer vingt minutes à cette déchirante question : pourquoi tant de haine ? Et pour l'occasion, les petites pancartes "pour" ou "contre" font relâche. Le panel est miraculeusement unanime. "La jalousie", risque Delormeau. Et puis  "vous faites vendre. L'Humanité ne s'est jamais aussi bien vendue" (Florian Silnicki, spécialiste de la communication). "38 000 exemplaires les bons jours" précise Hanouna. Méchante course au buzz, donc (opposée à la "bonne" course au buzz, celle de Zemmour, vous suivez ?)

Pourtant, accuser la chercheuse de dilapider l'argent des Français ne suffit pas, quand on peut aussi la faire passer pour lâche et stupide. Hanouna :" Cette dame, on lui a demandé de venir, elle estime qu'elle ne peut pas venir parler de l'objet qu'elle étudie." Rires. "Par exemple moi j'adore Slam (un jeu de mots fléchés sur France 3, ndlr). Si on m'invite, je peux pas y aller."  (Rires). 

Reste à trouver des explications de fond à l'incroyable succès qui fait tant de jaloux : "Vous êtes pas dans la télé, vous êtes dans l'engagement. Vous avez pas créé la dynamique Zemmour, mais vous avez été branché dessus avant tout le monde. Vous êtes une émission politique qui cartonne, personne n'attendait une émission politique comme ça" (Philippe Moreau-Chevrolet, expert (bis) en communication). "Beaucoup de jeunes vont se mettre à voter parce qu'ils ont vu Face à Baba" (Delormeau). "Comme vous êtes au plus haut des audiences, vous dérangez de plus en plus, notamment le service public. C'est pas un hasard si elle était sur France Inter. Vos valeurs, c'est donner la parole à tout le monde. Elle piétine ça, en disant qu'on est des faire-valoir" (Gilles Verdez, chroniqueur).

Bête, lâche, et... complotiste. "Elle ne devrait pas tomber dans le complotisme, et porter des accusations contre le groupe Bolloré, et des ingérences dont au fond... elles n'existent pas. C'est salir l'image du CNRS" (Silnicki). "D'accord avec ça" ratifie Hanouna. D'ailleurs Bolloré lui-même, devant le Sénat, a démenti toute accusation d'ingérence. Complotisme logique, puisque Sécail est d'abord "une militante politique" (Hanouna) – comme le jeune homme qui, l'autre semaine, a interpellé Macron sur les suppressions de lits à l'hôpital. Silnicki : "Il suffit de chercher sur Internet, elle a publié des tribunes d'une violence absolue contre Nicolas Sarkozy" (sans doute veut-il parler de ce texte contre le populisme pénal, de la chercheuse qui étudia jadis la médiatisation des faits divers, voir cette émission de 2012). On ne cherche pas assez sur internet. Il "suffit de chercher", et on retrouve par exemple que le communicant Silnicki fut aussi un peu trop expert en piratage, et condamné pour cela en 2016.

Nécessaire, le débat sur le comptage des temps de parole masque pourtant l'essentiel. Le plus intéressant de l'étude du CNRS n'est pas, à mon sens, le "quanti", mais le "quali" : comment les thèmes abordés, le cadrage des sujets, l'intitulé des sondages express, épousent soir après soir l'obsession sécuritaire et identitaire. Que tout le monde se rassure, "on continuera à faire la même émission, on va pas se laisser emmerder par des études, des trucs comme ça" (Hanouna). Et d'ailleurs, restez avec nous, pour le deuxième soir consécutif, on va parler peine de mort. Avec grand retour du pluralisme et des petites pancartes. "On aura Eduardo Rihan Cypel, un socialiste. Le seul qui veut bien venir. Et en plus on l'adore".



Lire sur arretsurimages.net.