Gattegno viré : arrêter Bolloré !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 155 commentaires
"Soyez sûrs d'une chose, camarades du JDD et de Match : avec Bolloré, le pire est certain"
lancent mes confrères des Jours
, Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, après le limogeage, annoncé hier, du directeur des deux publications, Hervé Gattegno. C'est la chute de leur long papier. Et c'est peut-être la boussole la plus fiable, dans le brouillard de commentaires suscités par cet énième épisode de la bollorisation de plusieurs grands médias français, à sept mois de la présidentielle.
À ce limogeage, annoncé comme de juste sans explication ni par le limogeur ni par le limogé ("clause de confidentialité"
oblige) plusieurs explications sont a priori possibles. 1°) Gattegno était, pour ses rédactions, notamment celle de Match
, un patron brutal. 2°) Il a, pour le moins, prêté la main, dans l'affaire des financements libyens, à une manip pro-Sarkozy, par Takieddine interposé. Mais rien de tout cela ne peut justifier une disgrâce dans l'empire Bolloré. Reste la troisième explication : il a, dans un éditorial du JDD
, le 19 septembre, ouvertement pris position contre Zemmour, qualifié de "prophète de malheur […] dans la longue lignée des défaitistes qui enlaidissent la France"
. Comment ne pas conclure que c'est bien le motif de son renvoi, et le seul ? Soit dit en passant, cet épilogue clôt les interrogations existentielles, s'il en restait, sur la fameuse couverture de Match
, "Zemmour et Knafo à la plage". C'était donc une "vraie" paparazzade, le baroud d'un Gattegno qui se savait condamné. Comme c'est agréable, de retomber dans des explications simples.
Je n'éprouve, pour Hervé Gattegno, (qui avait fait du JDD
un tract hebdomadaire pro-gouvernemental) ni sympathie personnelle, ni estime professionnelle. Mais l'heure n'est plus aux affinités secondaires. L'heure est à appeler par son nom ce qui se déroule sous nos yeux, à ciel ouvert, et qui est sans précédent – du moins en France, et de mon vivant : la mise d'un puissant groupe de presse au service exclusif d'un candidat à une présidentielle. Et en l'espèce, d'un candidat ultra-nationaliste, xénophobe, et autoritaire.
Exclusif, oui. J'ai passé une partie de ma soirée sur CNews. Le sujet unique en était un meeting de Zemmour dans ses terres versaillaises. Priorité au direct : il vient d'attaquer Mélenchon. Retour au débat : ne monte-t-il pas trop vite dans les sondages ? N'est-ce pas dangereux pour lui ? Une ascension en janvier ou février n'aurait-elle pas été préférable ? Scoop maison ! Deux poids lourds de la droite "du calibre Retailleau"
pourraient le rejoindre. C'est un journaliste de Valeurs Actuelles,
Geoffroy Lejeune, qui l'assurait ce matin sur Europe 1, au micro de Dimitri Pavlenko. On regarde l'image tout de suite, ou dans cinq minutes ? Allez, on la regarde. Au même moment, BFMTV déployait tout son savoir-faire dans la zemmourisation bémolisée – le bémol se nommant Natacha Polony – en se désolant de l'offensive des "woke"
contre les Miss France, par la voix de l'essayiste Pascal Bruckner. Il fallait arriver sur la chaîne Franceinfo, pour revenir à la vraie vie des vraies gens, et voir un député marcheur se prendre les pieds dans les modalités du futur chèque carburant.
Dans ce jeu désormais simplifié, reste tout de même une question, de taille. Le blitzkrieg de Bolloré a-t-il pour but de faire tomber Macron ? Pas forcément. Il est tout à fait possible que le président en place s'imagine battre plus facilement, au second tour, un Zemmour, plutôt qu'un Bertrand, un Barnier, ou même une Le Pen. Tout comme la raisonnable droite allemande, en 1933, s'imaginait ne faire qu'une bouchée d'un risible pantin en chemise brune. En attendant, tout doit être fait pour frapper Bolloré où il demeure – un peu – vulnérable : au portefeuille. Le CSA, par tous les moyens, "à pied ou en voiture"
, comme disait l'autre, doit maintenant tordre le bras du milliardaire. Les annonceurs républicains, s'il en reste, doivent se retirer massivement des médias Bolloré. Les clients républicains de ces annonceurs doivent le faire savoir à leurs marques favorites, à l'image de l'action de Sleeping Giants, plus que jamais nécessaire. Le succès est loin d'être garanti, mais quoi d'autre ?