Duopole et siphonnage sont dans un bateau
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 127 commentaires
Rien n'est plus délectable que les savantes explications des sondeurs ensablés les lendemains de scrutins. Pourquoi les sondages des Européennes ont-ils sous-évalué le résultat de EELV et surévalué celui de la droite de Bellamy ? Brice Teinturier (IPSOS) a trouvé la réponse : le double siphonnage. Attention démonstration : pendant que Macron siphonnait la droite, EELV siphonnait Macron. Ciel ! Un siphonnage en a caché un autre. Et voilà pourquoi votre sondeur fut muet. Et la presse de droite s'abandonna à l'autosuggestion Bellamy.
De toutes manières, ajoute l'expert, ce double siphonnage était parfaitement sensible dans les derniers jours, puisqu'on était "en dynamique"
. Avec quelques jours de plus, les sondages eûssent été parfaits. Et à peine a-t-il fourni cette double explication lumineuse, que Léa Salamé (France Inter) interroge l'expert sur le seul sujet digne d'intérêt...la présidentielle de 2022 : "le duopole (NDR : RN / LREM) est-il installé ?"
Et voici la meilleure : il répond ! Il remonte à cheval. Insubmersibles.
Duopole : quel joli mot ! De la réduction de la politique à ce "duopole" par la machinerie médiatique, démonstration hier soir sur le plateau de TF1. Le lepéniste Collard ayant fait remarquer que TF1 avait choisi pour "grand témoin" le macroniste Cohn-Bendit, s'ensuivent deux minutes de pugilat et d'insultes (je ne mets pas de lien. Cherchez vous-même). Ces deux minutes ne traduisent pas seulement le naufrage d'une chaîne privée qui, pour surnager dans la concurrence, exhibe des monstres. Elles traduisent l'état exact du débat politique français passé à la moulinette des médias privés, c'est à dire réduit à l'état de "duopole".
Pour le reste, n'attendez pas ici de fulgurants commentaires sur ce scrutin qui, à mes yeux, s'inscrit surtout dans la longue liste d'élections qui ont laissé froid un électeur sur deux. C'est cette absence, qui me crève les yeux, et l'aveuglement à cette absence que traduit par exemple ce titre du Monde
, qui démontre à quel point le réel peine à émerger.
Je ne sais pas si c'est un confrère du Monde
ou de l'AFP qui a rédigé ce titre. Mais certainement, ces six derniers mois, était-il sur une autre planète. Certainement, il n'a pas entendu, à propos des élections et de la démocratie représentative, le rejet exprimé par le mouvement social le plus original que la France a connu depuis longtemps (voir par exemple ici). Sur ce sujet, lire plutôt cette analyse de la philosophe Barbara Stiegler dans Libération
. Et si vous voulez approfondir, retrouvez-la sur notre plateau. Les bonnes émissions vieillissent bien.