"Décomplexion" : rendons à Sarkozy...

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 137 commentaires

Revoilà Sarkozy.  Et le revoilà sur le plateau convivial et sidéré de Quotidien, prestation dont Twitter retient un extrait confus, mais qui laisse fortement penser que l'ex-chef de l'État assimile les Noirs à des singes. 


Extrait dont il n'y aurait pas grand-chose à dire, sinon qu'il a le mérite, pour les plus jeunes, de rappeler que Sarkozy fut, en France, le pionnier politique de la "décomplexion" raciste de la parole politique et médiatique. Les racailles, le karcher, l'identité nationale, c'était lui. Cette "décomplexion" raciste que Le Monde de ce matin choisit étrangement de ne pas qualifier dans son titre, et qui, dans une grande vague de zemmourisation, gangrène en cette rentrée, chaîne après chaîne, le paysage audiovisuel.

A propos de Zemmour, je suis obligé de revenir sur le Matinaute d'hier consacré à son émission de CNews. Ce texte évoquait le dispositif pervers mis en place par la chaîne de Bolloré, et qui vise à faire protéger un show quotidien raciste et misogyne par la présence  complaisante d'une journaliste noire, Christine Kelly. Mais son titre, "Zemmour et sa servante", m'a valu ce qu'on appelle un "shitstorm" sur Twitter, meute vaillamment emmenée par les champions habituels du buzz zemmouroïde, la journaliste du Figaro Judith Waintraub, les clients habituels des plateaux Raphaël Enthoven, Eric Naulleau, ou Gilles-William Goldnadel, ou, de manière plus surprenante, le journaliste du Monde , bon connaisseur de l'extrême-droite, Abel Mestre.  Dans un second temps, ont suivi quelques politiques LR : Valérie Boyer, ou Eric Ciotti. D'autres suivront sans aucun doute dans la journée d'aujourd'hui : il reste des miettes de gâteau.

Dans l'avalanche, "vieux gauchiste racialiste" est la gentillesse qui revient le plus souvent (je ne compte plus les occurrences), l'oscar de l'originalité revenant à "momie plastifiée de la gaucho dynastie" (André Bercoff). (Pour un résumé, vous pouvez vous reporter à Valeurs Actuelles ou Yahoo Actualités). A 95%, c'est le fan club de Zemmour, qui s'est ainsi défoulé. Normal, ce titre a touché un nerf, et j'en tirerais presque honneur. Bien rares ont été les voix, comme celle de mon confrère Théophile Kouamouo, du Media, donnant l'impression d'avoir compris ce que je tentais de dire. Merci à lui.


Ce qui n'empêche pas de réfléchir. Certain.e.s, dont l'avis m'importe, ont regretté l'emploi, dans ce titre, du mot "servante", et le fait que Christine Kelly n'y soit pas nommée. D'abord, parce que cette absence contribue à l'anonymiser : c'est vrai. J'aurais dû mentionner son nom, d'autant que le sujet central du texte porte sur elle, et le rôle qui lui est assigné. Ensuite, parce que ce titre dégage la responsabilité de CNews dans ce dispositif cynique, et en fait peser tout le poids sur Christine Kelly. Mais ce rôle, elle l'a accepté, et elle le joue parfaitement. Surtout, m'objecte-t-on, appliqué à une femme noire, le mot "servante" renvoie à l'imaginaire colonial. Je le sais bien, pardi ! Et j'aurais pu écrire "comparse", "complice", "passe-plat", ce que vous voulez. Mais c'est à l'imaginaire colonial, et à aucun autre, que renvoie le dispositif de cette femme quasi-muette faisant mine de répartir la parole entre les postillonneurs masculins, et dont la seule objection se borne à demander à Zemmour, qui vient de zemmouriser l'ouverture des Oscars aux minorités : "Mais est-ce que ça ne part pas d'une bonne intention ?"  Regardez-la, cette émission, et dites-moi ensuite quels mots appliquer à ce que vous y voyez. Votre serviteur vous écoute.

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