Zemmour et sa servante

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 96 commentaires

On ne le souligne pas assez, mais à la base du zemmourisme, il y a aussi un effondrement. L'effondrement de l'édifice de domination patiemment construit par des générations et des générations de mâles blancs hétérosexuels, groupe social aujourd'hui en voie d'extermination. Coup de pioche du jour dans cette démolition, les Oscars s'ouvrent à la diversité, ou plutôt "cèdent aux minorités", selon la formulation du bandeau de l'émission-épicentre sur CNews.  A partir de 2024, un film éligible à l'Oscar du meilleur film devra compter, parmi ses comédiens, ou au sein des équipes de promotion ou de distribution (précision importante, qui n'est pas donnée sur CNews), des représentants de "groupes sous-représentés". Pour les films réfractaires, restera la possibilité d'offrir aux membres des minorités des possibilités de stages ou d'apprentissages (autre précision qui n'est pas donnée sur CNews). Le détail est ici.

Cette importante nouvelle, donc, ne pouvait échapper à Zemmour, dans sa déploration quotidienne. Sans surprise, il est terrifié. Mais pour une fois, pas en tant que mâle blanc. En tant que représentant d'une minorité -entendez juif sefarade. Et en tant que représentant de cette minorité sous-représentée, Zemmour n'a pas besoin de voir ses semblables à l'écran, pour se sentir représenté. La preuve ? "Je me suis toujours davantage identifié à Yves Montand dans César et Rosalie, qu'aux personnages de La vérité si je mens, qui représentent mon milieu d'origine". Et, à l'appui de la démonstration, de mobiliser Baudelaire, Verlaine ou Proust ("homosexuel. Moi je ne le suis pas. Et pourtant il y a une intelligence là-dedans...")

Quelqu'un va-t-il le reprendre ? Quelqu'un va-t-il lui faire valoir que les Juifs français, en France, au début du XXIe siècle, ne sont pas précisément ce qu'on pourrait appeler une catégorie dominée, souffrant de sa sous-représentation à l'écran ? Non. La caméra multiplie les plans d'écoute sur les comparses, fascinés par le robinet à audience. Tous mâles blancs ? Même pas. Car se trouve aussi sur le plateau une femme de couleur, Christine Kelly (journaliste, et ex-membre du CSA)  que la chaîne de Bolloré, qui ne manque pas d'humour, a assignée à la présentation quotidienne du show. Au début, elle a timidement lancé le Maître, en glissant que pour sa part, elle trouvait la décision des Oscars "tardive". Et puis elle est restée là, humble, muette, à assister à sa propre humiliation, à la mise en évidence de sa fonction d'alibi, démonstration vivante qu'avec un peu de perversité et beaucoup de cynisme, on peut bien s'amuser avec les règles sur les quotas.



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