Conseil de déontologie: chic, un nouveau sujet !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 46 commentaires
Autant le dire d'emblée : le "Conseil de déontologie journalistique et de médiation", à mes yeux, nait dans les plus détestables conditions, c'est à dire sous l'injonction du gouvernement : "Je considère
, déclarait en juin dernier le secrétaire d'Etat au numérique Cédric O, qu’il doit y avoir un Conseil de l’ordre des journalistes, des journalistes entre eux, qui prennent des décisions et qui disent à l’Etat : “Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard, mettre des avertissements. [...] C’est aux journalistes de le faire, ce n’est pas à l’Etat de le faire. S’ils ne le font pas, ce sera l’Etat qui le fera, au bout du bout."
Ledit Cédric O peut bien, ensuite, être revenu sur sa menace, nul ne peut douter qu'il exprimait la voix de son maître, ledit maître s'efforçant par ailleurs, comme la plupart de ses prédécesseurs, de tenir la presse sous contrôle (on en parlait dans notre émission de la semaine).
Je ne suis pas le seul à le penser. Je ne fais que m'aligner sur une vingtaine de sociétés de journalistes (dont celle de Mediapart), qui viennent de déclarer que ce sera sans elles. "Il vaut mieux y être que de ne pas y être"
plaide en revanche Edouard Perrin, porte-parole du collectif Informer n'est pas un délit
, qui porte la voix des journalistes d'investigation français, cette divergence laissant supposer d'intenses débats internes, au sein de Mediapart par exemple, comme sans doute d'autres medias.
Les deux positions sont inconfortables. Participer à l'instance va donner l'impression que la profession fait sa police interne sous pression du gouvernement (impression exacte, par ailleurs). La boycotter va donner l'impression que les journalistes refusent toute critique (impression proche de la réalité, par ailleurs).
Une telle instance serait-elle viable dans un contexte plus serein, avec un Etat moins titillé par les tentations liberticides, dans un système d'actionnariat de la presse moins concentré sur une poignée de milliardaires ? Je n'en sais rien. Je me borne à constater que dans l'immédiat, elle est dans le flou, aussi bien sur la question de son champ d'action, que sur celle, essentielle, de son financement. De quelles affaires se saisira ce "Conseil" ? D'un reportage (de FranceInfo) sur un plombier qui se trouve être adhérent LREM ? D'une matinale radio (Europe 1) qui s'affiche apolitique, et penche à droite ? D'un journal télé (France 2) qui affirme que le régime de retraite des avocats coûte de l'argent, alors qu'il en reverse au régime général ?
Quant au financement ! Contre-enquêter sur des enquêtes journalistiques, pour savoir si elles sont impartiales et de bonne foi, c'est du travail, c'est long, logiquement aussi long que les enquêtes sur lesquelles on contre-enquête. Qui le fera ? Des journalistes salariés par le Conseil ? Des journalistes en poste ailleurs, sur leur temps de loisir ? Des journalistes au chômage ? Des journalistes retraités ? Entendre un professionnel de l'investigation comme Edouard Perrin ne pas exclure un financement "en partie public"
, donne le vertige : croit-on vraiment que l'Etat, en la matière, sera un mécène impartial ? D'ailleurs, l'entreprise vise-t-elle véritablement l'impartialité ? Bref, ici, à ASI, forts de la totale indépendance que nous offrent nos abonné.e.s bien aimé.e.s, aussi délibérément subjectifs, aussi forcément contestables, et contestés que nous soyions, le CDJM nous fournira au moins...un sujet d'enquête et de réflexion supplémentaire. A ce titre, nous lui souhaitons la bienvenue.
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