Comme des enfants
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 130 commentaires
Ce matin sur France Inter, c'est la fête aux "petits malins". Et notamment aux "petits malins" qui, paraît-il, sont arrivés à Saint-Gervais (Haute-Savoie) pour les vacances de printemps. Après France Bleu Pays de Savoie, France Inter donne la parole au maire de Saint-Gervais, furieux contre ces propagateurs de virus. Maintenant qu'ils y sont, fulmine le maire, il faudra qu'ils restent ! Comment Monsieur le maire va-t-il les maintenir dans leurs chalets ? France Inter ne le lui demande pas. Tout le week-end dernier, c'était la fête aux "Français qui se relâchent"
, après la publication en exclusivité par le JDD des cartes fournies par un "outil de pistage" (on vous dit tout ici).
Hier matin, le même journal de France Inter, encore lui, donnait la parole à un livreur, qui fulminait contre les inconscients qui commandent en ligne des jouets pour leurs enfants. Mais l'achat de jouets, pour les enfants confinés depuis trois semaines, ne peut-il être assimilé à un achat de première nécessité ? "Tout le registre sémantique convoqué par l'État et relayé en bons élèves par les médias,
analyse Docteur Panel dans notre forum d'hier, concourt à faire du voisin l'ennemi, le salaud, le sale, celui qui s'amuse pendant que les autres souffrent. On a là une guerre sans ennemi identifiable. Mais dans l'imaginaire des guerres, il faut se méfier des autres, chacun de nous peut être la taupe, l'infiltré du virus"
. Relâchés, inconscients, "petits malins" : pas méchants, certes, les Français, mais décidément ils ne comprennent qu'une chose : l'engueulade. La punition. L'amende. Le képi du gendarme.
Parfois plus zélée que le gouvernement lui-même, la radio nous parle comme à des enfants. Ou -variante- avec d'infinis ménagements, comme à la famille de malades en phase terminale. Par exemple, sur le déconfinement. A peine Edouard Philippe a-t-il amorcé l'autre soir le débat public sur le déconfinement -excellente initiative, à mon sens, le débat ne s'engagera jamais assez tôt- que de tous côtés on lui tombe dessus : m'enfin, surtout pas ! Les Français vont comprendre de travers, et se précipiter sur leurs chaussures de jogging. Et Edouard Philippe rengaine sa tentative.
Sur le déconfinement, "la date du 15 avril ne sera sans doute pas respectée"
, murmurent prudemment les chaînes d'info. Prudemment. Car il faut habituer graduellement les enfants que nous sommes. A l'inverse, l'édito du Monde
a le mérite de dire les choses franchement : sans tests, sans vaccin, c'est pendant 12 à 18 mois, qu'il va nous falloir "cohabiter avec le coronavirus". Avec des déconfinements, des reconfinements temporaires éventuels, et ainsi de suite. Le Canard Enchaîné
assure que le gouvernement planche sur un confinement en mai, et un déconfinement -progressif- tout au long de juin. Mais chut. Ne pas le dire trop fort !
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