Charles II d'Orléans, et la peste

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 56 commentaires

Troisième fils de François Ier, Charles II d'Orléans est surtout passé à la postérité par les circonstances de sa mort. En campagne contre l'Anglais dans le Boulonnais en 1545, et mécontent du logement qui lui était réservé, il réquisitionne une demeure dans laquelle huit personnes venaient de mourir de la peste. La peste ? "Jamais fils de France n'est mort de la peste" fanfaronne le prince. Il se roule en riant dans les lits des défunts et, à en croire le nonce du pape qui relate l'histoire, organise une bataille d'oreillers avec ses compagnons d'armes. Il meurt de la peste quelques jours plus tard.

Ne peut-on entendre, dans les comportements des princes d'aujourd'hui, des échos de l'arrogance de l'invulnérable Valois (l'histoire a été rappelée sur Twitter après le matinaute d'hier) ? J'écoute et je réécoute, incrédule, cette réponse de Macron sur les masques, dont BFM a mis en ligne un extrait d'une minute. 

Je tente de comprendre la mécanique psychologique du déni (à ce stade d'irréalité, je préfère parler de déni, plutôt que de propagande). Il me semble qu'elle se lit dans les mots évités. Ecoutez comme il peine à prononcer le mot "masques", qui ne vient dans sa bouche qu'après une longue minute de monologue -comme il avait naguère évité celui de "confinement". Plutôt que de masques, il préfère évoquer "ce sujet" (deux fois), ou encore "certains de ces sujets qui paraissaient totalement innocents" : jamais fils de France ne fut en rupture de masques ! Quand les objets deviennent des "sujets", quand le nom des choses disparait derrière des mots-caches, comme la production industrielle derrière la finance, alors tout le réel s'évanouit. 

Cet étonnant personnage emmuré dans son déni peut-il être le même qui vient enfin de convaincre l'Allemagne de mutualiser les dépenses publiques colossales liées à la pandémie ? Quel est le secret ? Si l'Allemagne se refusait depuis toujours à mutualiser les dettes des cigales, elle viendrait, à force de persuasion macronienne, de reconnaître que les dettes de la pandémie ne sont pas des dettes cigalières comme les autres. Dettes de la souffrance, dettes de l'insouciance : il y a dette et dette. Ainsi, la morale rhénane serait sauve. A l'annonce, ce matin, du beau chiffre tout rond d'un plan d'aide de 500 milliards aux pays les plus en difficulté, toute la presse française chante la révolution  -et seule la mort de Michel Piccoli l'empêche de chanter plus fort encore.

Le diable, comme toujours, sera dans les détails. Notons que le commissaire européen Thierry Breton lui-même évaluait les besoins au triple. Notons que l'accord à 27 est très loin d'être acquis. Notons que l'octroi de ces aides sera subordonné pour les pays bénéficiaires (refrain) à "un ambitieux programme de réformes", comme le relève l'insoumis Manuel Bompard, qui, à la différence de la presse française, a lu les petites lignes.



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