Cerveaux disponibles : vieille peste contre jeune choléra

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 47 commentaires

Envoyé Spécial s'attaque aux enfants youtubeurs exploités par leurs parents. Plusieurs chaines existent, regardées des millions de fois, qui permettent auxdits parents d'en retirer "entre 10 000 et 50 000 euros par mois" de revenus. Démarré aux Etats-Unis (où il est même arrivé que des parents mettent en ligne les obsèques de leur enfant), le phénomène a essaimé ici. Le sujet de ces vidéos ? Filmés par papa et maman, les chéris inaugurent des manèges dans des parcs d'attraction, déballent de somptueux cadeaux (ça porte même un nom : l'unboxing), et engloutissent des bonbons. Et ça marche, à la plus grande satisfaction des marchands de bonbons et de somptueux cadeaux. Quand les jeunes "influenceurs" Néo et Swan vont inaugurer un manège, ils invitent dix de leurs jeunes fans tirés au sort, tout émotionnés.

Ca marche, mais c'est mal. Pourquoi ? D'abord, souligne Envoyé Spécial, parce que c'est du travail dissimulé des enfants. Et ensuite, parce que -asseyez-vous !- c'est de la pub, non moins cachée : pensez donc, dans les videos de déballage de cadeaux, le caractère sponsorisé n'est indiqué qu'à la fin de la video. "Ces enfants ne perçoivent pas qu'une marque cherche à les influencer" souligne Envoyé Spécial, qui a bien raison. Et nous avons ici à de nombreuses reprises dévoilé la pub cachée pratiquée par ces influenceurs en jupe fluo ou en culotte courte. En outre, insiste Envoyé Spécial, "alors que les medias traditionnels sont très réglementés, Youtube, c'est la liberté, en matière de publicité".

Pardon ? Les medias traditionnels ? Ah oui, à propos. Envoyé Spécial, n'est-ce pas cette émission diffusée sur une chaine traditionnelle, nommée France 2 ? Et France 2, n'est-ce pas cette chaine dont la pédégée, Delphine Ernotte, vient d'accourir en renfort du lobby de l'agro-alimentaire, pour s'opposer à un amendement tendant à mieux signaliser la pub pour la malbouffe ? Mais alors, Néo et Swan, en quelque sorte, seraient des concurrents d'Elise Lucet ? Et donc, cette émission d'Envoyé Spécial serait un missile de la vieille télé contre des concurrents émergents en conquête de temps de cerveau disponible, plus efficaces auprès du très jeune public ? "En quelques années, ces chaines sont devenues le media préféré des 3-9 ans, loin devant les chaines de télévision" confirme l'émission. Et Sainte Elise Lucet se prêterait à cette entreprise de dénigrement de concurrence ?

On en est là, dans la bataille pour l'emprise publicitaire, à regarder la vieille peste se défendre avec ses vieilles armes contre le jeune choléra. Pourtant, Elise Lucet connait bien les entourloupes des industriels de la malbouffe. C'est elle, dans un Cash Investigation de 2016, qui faisait l'éloge du Nutri-Score, cette efficace signalisation contre les produits gras, dont les industriels s'efforcent de préserver leurs attrayants emballages.  Avec sa connaissance du dossier et ses sources, il ne devrait donc pas lui être trop difficile de préparer une enquête d'Envoyé Spécial, sur les pubs insuffisamment informatives, jusque sur les écrans de France Télévisions.

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