Carlton, Swissleaks, salauds acceptables

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 56 commentaires

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La dernière corporation journalistique qui tienne à peu près bon

, avec des principes, une déontologie, et tout ce qu'il faut, ce sont les chroniqueurs judiciaires. Sans doute parce qu'ils ne connaissent pas la concurrence. Tous assis sur le même banc, tous avec la même pitance dans la gamelle, à chacun ensuite de faire la différence avec le regard, la synthèse, l'analyse. Bref, un rêve de journalisme. Il faut les imaginer, au procès du Carlton, se posant à longueur de journées la question de savoir quels mots utiliser pour décrire les audiences. Dire sodomie ? Dire "pratique contre nature" ? Dire "une certaine pratique" ? Inventer encore autre chose ? Hier, Stéphane Durand-Souffland, du Figaro, se fait interpeller sur Twitter, sur ses supposées restrictions verbales, sous-entendu pour ne pas avoir parlé explicitement de sodomie, dans la description de la partouze de l'hôtel Murano. Réponse de l'intéressé : "le mot n'a pas été prononcé à l'audience, je ne l'ai donc pas écrit". C'est une règle qui en vaut une autre, sans doute la moins pire.

Reste DSK. Comment en parler ? Qu'est-ce que le procès du Carlton sans DSK ? Une sordide histoire d'escorts, avec du Dodo la saumure pour la touche audiardienne. Contre le procès d'abus de faiblesse sur Liliane Bettencourt, ça ne ferait pas le poids. Avec DSK, voici donc une belle affaire d'Etat, un complot peut-être, qui justifie le déplacement en masse de la presse. Donc, DSK est logiquement au centre des récits. Donc, si vous n'avez pas compris que DSK a sodomisé dans un hôtel une femme qui assure aujourd'hui qu'elle manifestait son refus, c'est que vous vivez sur la planète Mars. Le problème, c'est que telle n'est pas la question posée au tribunal. La question n'est pas de disséquer son rapport aux femmes. La question, la seule, est de savoir s'il savait qu'elles étaient payées. Or, si on lit bien les comptes-rendus d'audience, rien ne l'atteste encore à l'heure où j'écris. Je veux dire, rien ne l'atteste formellement. Le scénario que tente de vendre DSK au tribunal (je suis le roi du monde, j'ai sauvé la planète d'une crise financière pire que celle de 29, doublé d'une bête sexuelle, il est donc naturel à mes yeux que les femmes se jettent à mes pieds, comme elles l'ont toujours fait), ce scénario tient. Juridiquement, j'entends. C'est injuste, déplorable, mais c'est ainsi. C'est la Justice. Sinon, faisons juger les gens par Twitter, et qu'on n'en parle plus.

Mais il faut des salauds en tête de gondole. De beaux salauds bien acceptables. Qu'est-ce que l'affaire Swissleaks sans Gad Elmaleh -j'entends, pour la mise à feu, la mise sur orbite ? Médiatiquement, pas grand chose. Un leaks de plus, condamné à se perdre dans les sables, comme les précédents épisodes, offshore leaks, et Luxleaks. Mais Gad, avec ses pubs pour le Crédit Lyonnais qui passent en boucle, son mariage princier, c'est du gâteau. Donc, Le Monde survend Gad Elmaleh. Du Elmaleh partout, et notamment dans les tweets vendant le scoop, le dimanche soir, veille de la parution du journal, sans rappeler que le scandale date de 2006, et que Elmaleh a régularisé sa situation depuis. Attention, je ne veux pas dire qu'il ne faut pas écrire les noms, comme semblent le souhaiter deux des actionnaires du journal, Pigasse et l'ineffable Bergé (qui a parlé de "délation"). Bien sûr, qu'il faut écrire les noms. Les noms communs, et les noms propres. Ce n'est pas de la délation. C'est du journalisme. Mais avec la bonne typo. Et les compléments de temps adaptés.

Illustration Jean Bagnati

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