Cameroun : Bolloré re-débouté, une (presque) victoire
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 8 commentaires
Et de deux ! Après avoir perdu son procès en diffamation contre France 2, Bolloré vient également d'être débouté de son action en "dénigrement" contre la même chaine. Cette procédure était la plus insensée de tout l'arsenal d'acharnement judiciaire déployé par l'homme d'affaires contre le fameux reportage de Complément d'Enquête sur le Cameroun. Il revenait à demander au Tribunal de commerce de juger que l'enquête de France 2 n'était, en fait, qu'une mauvaise manière économique, une manoeuvre d'un groupe de télévision contre un groupe concurrent (le sien) détenant aussi des chaines de télévision. Logiquement, le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent. Bolloré a annoncé qu'il ferait appel.
Pas de naïveté. Qu'un groupe industriel détenant des medias, puisse être tenté d'instrumentaliser ces medias pour servir ses propres intérêts, voire nuire à un concurrent, cela s'est vu, se voit, et se verra encore. Si j'étais taquin, je pourrais constater que le jugement du tribunal de commerce déboutant Bolloré, est reproduit sur le site de BFM, propriété du groupe Drahi, concurrent de Bolloré-CNews. S'il voulait s'amuser, Bolloré pourrait poursuivre Drahi pour dénigrement. Ou Arrêt sur images, tiens, qui produit une émission de critique des medias concurrente de celle de Morandini (c'est de l'humour). Et Bolloré peut d'autant plus sincèrement l'imaginer que, de tout le petit escadron d'industriels français détenant des medias, il est, avec le regretté Serge Dassault, celui qui pratique lui-même de la manière la plus décomplexée cet asservissement du journalisme (dossier complet ici). Ce qui n'exonère pas les autres de tentatives obliques ou d'arrière-pensées. Quoiqu'il en soit, la presse relève en France du seul droit de la presse, et c'est très bien comme ça.
Pas de quoi pourtant crier victoire. Car même multi-débouté, Bolloré a atteint son but. L'enquêteur de France 2 Tristan Waleckx racontait sur notre plateau comment cet acharnement judiciaire, avec toutes ses conséquences financières et psychologiques, avait dissuadé France 2 de poursuivre ses enquêtes sur les activités de Bolloré en Afrique. Autre exemple, le site indépendant Bastamag, définitivement relaxé des poursuites de Bolloré, aura au total déboursé 13 000 euros (dont seuls 2000 seront remboursés). Cela s'appelle une procédure-bâillon, thème d'autant plus sensible sur ce site que nous en sommes également victimes, de la part du grand défenseur de la liberté d'expression Etienne Gernelle, directeur du Point
, comme je vous le rappelais.
Pour dissuader les amateurs de procédures-bâillon, en même temps que pour désengorger les tribunaux, il y aurait une solution simple : les condamner à de lourds dommages et intérêts en cas de procédure abusive flagrante. Si j'en crois BFM, France 2, qui avait demandé 100 000 euros à Bolloré, n'a rien obtenu sur ce point. C'est bien dommage.