Benghazi, dans le vent de sable

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 41 commentaires

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Malgré Fukushima, Benghazi continue, soir après soir, matin après matin, d'exiger son petit morceau d'attention publique

, et nous lui conservons une petite part d'angoisse. Comme à Fukushima, les jours, les heures même, sont "décisives". Comme à Fukushima, nous répète la grande machine à suspense, c'est "maintenant ou jamais". Mais à la différence de Fukushima, le feuilleton Benghazi nous somme implicitement de choisir notre camp. Pour empêcher Kadhafi de s'emparer de la capitale de la révolution libyenne, "il est minuit moins cinq" tonitruait encore BHL sur France Inter ce matin. Et ce n'était plus seulement les pistes de trois aéroports, que le découvreur de Botul voulait bombarder, comme la semaine dernière, mais bien l'armée de Kadhafi elle-même. Alors ? Pour ou contre, ces bombardements ciblés ?

Impossible choix. D'un côté, Kadhafi. De l'autre, le duo Sarkozy-BHL. Je n'ai pas besoin, j'imagine, de développer ici les raisons qui rendent ce choix, posé ainsi, impossible. Nous sommes beaucoup, dans ce pays, à ne faire pas davantage confiance à BHL, pour nous désigner les bons et les méchants, qu'à Sarkozy pour engager l'armée (et la persistance des invitations de BHL, comme d'ailleurs d'Allègre, quelques minutes plus tôt, à propos du Japon, sur RTL, reste pour moi un sujet de profond mystère, mais on en reparlera). Alors ? Se déterminer en fonction du réel ? En fonction, par exemple, des remarquables reportages de Rémy Ourdan, du Monde, ou de Christophe Ayad, de Libé ? On y discerne évidemment sans difficultés qui est le fort, et qui est le faible. Cela ne nous dicte, pour autant, aucune conduite évidente, hélas. Cela n'est pas facile, d'écrire qu'on ne sait pas ce qu'il faut faire. Que faire quand on ne dispose pas des élements pour décider ? Faire confiance, faute de mieux, comme Juppé semble en avoir convaincu Sarkozy, aux institutions internationales. Au Conseil de sécurité, à la Ligue arabe, aux institutions tristes, ternes, bureaucratiques, implacables expressions des rapports de force internationaux, qui n'ont d'autre légitimité que leur existence, mais qui ont toute cette légitimité.

Dans le vent de sable, une chose semble certaine: l'argument, brandi par BHL, du coup d'arrêt que porterait une victoire de Kadhafi à "tous les printemps arabes", me semble inopérant. Ces révolutions, comme toutes les révolutions, au-delà de leur déclencheur immédiat, ont des causes profondes, notamment démographiques, comme l'expliquait Emmanuel Todd sur notre plateau. Même Kadhafi, l'horrible Kadhafi, contre un taux d'alphabétisation ou un taux de fécondité, n'aura jamais assez de chars. Dans le vent de sable, c'est au moins une consolation. Ou un mirage de consolation.

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