Presse : Benalla, une sortie de la disgrâce ?

Daniel Schneidermann - - Investigations - Initiales DS - 86 commentaires

Le 17 septembre 1985, éclata comme un coup de tonnerre l'affaire du Rainbow Warrior. Le Monde révéla qu'un bateau de Greenpeace, deux mois plus tôt, avait été coulé en Nouvelle Zélande par des agents secrets français. Le sabotage avait provoqué la mort d'un photographe. Le scoop était signé Edwy Plenel et Bertrand Le Gendre (frère d'un actuel député LREM qui commence à s'en prendre aux medias dans l'affaire Benalla, mais ça n'a rien à voir). Le journal ne détenait pas les preuves formelles de ce qu'il avançait hardiment dans cette historique manchette au conditionnel, mais l'information était vraie, et amena à la démission du ministre de la défense Hernu, vieux compagnon du président Mitterrand.


Tremblement de terre politique. Alors en reportage électoral dans l'ile voisine de la Nouvelle Calédonie, je fus dépêché dare-dare en Nouvelle-Zélande, pour suivre les conséquences politiques de la révélation. Du jour au lendemain, Le Monde sortit de la spirale de déclin des ventes où il s'enfonçait depuis l'élection de Mitterrand, en 1981. Au soir de cette élection, après 23 ans de règne de la droite, on avait vu plusieurs de ses dirigeants pleurer de joie. Plusieurs années durant, le journal avait sanctifié Mitterrand comme le Dieu-des-lumières-qui-succèdent-aux-ténèbres. Ce n'est pas confortable, pour un journal, surtout de gauche, de soutenir un gouvernement. Les lecteurs (surtout de gauche) veulent qu'un journal cogne sur le pouvoir, et d'autant plus sous la 5e République, où l'exécutif est sans véritable contre-pouvoir. Bien sûr, ils le démentiront, ils jureront qu'ils préfèrent que le journal prenne de la distance, réfléchisse, analyse. Mais les tirages, les audiences, les clics parlent.

aussi décisif que greenpeace ?


Il est encore trop tôt pour dire si l'affaire Benalla (première journée racontée ici, deuxième journée ) va faire sortir Le Monde, et toute la presse traditionnelle avec lui, de la disgrâce publique dans laquelle ils pataugent depuis des années. Peut-être faudrait-il pour cela que ces journaux tirent les vraies conséquences politiques de l'affaire, et regardent en face le continuum entre l'apparent "coup de folie" de deux salariés de l'Elysée, et la violence sociale du macronisme. Peut-être faudrait-il se souvenir par exemple que le  directeur de cabinet élyséen Strzoda, qui a autorisé Benalla à "aller voir" la manifestation du 1er mai, et s'est bien gardé de le dénoncer ensuite au Parquet, comme il en avait l'obligation, est bien celui qui, alors préfet de Bretagne, avait couvert sa police qui avait éborgné un étudiant. La presse s'était bien gardée de le rappeler lors de sa nomination à l'Elysée. Eût-elle été plus vigilante à l'époque, on n'en serait peut-être pas là aujourd'hui.

Nul ne sait encore d'où est venue la fuite qui a permis à Ariane Chemin (que l'on connaissait jusqu'alors davantage comme une remarquable reporter, que comme enquêtrice politico-judiciaire) de sortir ce scoop. On sait que Benalla exaspérait nombre de policiers et de gendarmes, notamment parmi ceux qui sont théoriquement chargés d'assurer la sécurité présidentielle. L'origine de la fuite est, comme toujours, une donnée importante, surtout ici, sur ce site, mais en l'espèce, infiniment moins que la terrifiante culture de l'impunité de l'Elysée révélée par cette affaire, sans parler du verrouillage de l'Assemblée, qui se lit à ciel ouvert dans les entraves à la constitution d'une commission parlementaire transparente. Sans parler non plus de tout ce que l'on ne sait pas encore sur le fonctionnement de l'Etat profond (transmission de videos à Benalla par la préfecture de police : pourquoi ? Durée de conservation des bandes de videosurveillance, etc etc).

Tous les forfaits des gendarmes de Mitterrand, rappelle notre chroniqueur Georges Marion, restèrent impunis, et leur chef Prouteau fut même promu préfet. A l'heure où j'écris, Benalla est en garde à vue, et sa prometteuse carrière est compromise, sans parler de celles de Collomb ou du directeur de cabinet-fusible Strzoda. L'époque a changé. Les images video sont partout -sans videastes insoumis place de la Contrescarpe le 1er mai, pas d'affaire, rappelons-le. Sans Gaspard Glanz et ses inépuisables archives, pas d'images de Benalla avec son beau brassard police, ni des trois lascars, le 1er mai, en compagnie d'un représentant de la préfecture de police.


 Il est possible que cette concurrence ait aiguillonné Le Monde et les autres, tout comme la concurrence naissante, en France, d'une presse étrangère francophone, notamment russe. Tant mieux ! Tout ce qui va dans le sens d'une information plus pugnace devrait tous nous réjouir.


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