Aurélie et Trouvé font la vélorution dans le 93

Daniel Schneidermann - - Initiales DS - 56 commentaires

Cheffe du "parlement de L'Union populaire", ex-porte-parole d'Attac et candidate Nupes en Seine-Saint-Denis, Aurélie Trouvé participe ce mardi à une conférence de presse avec Jean-Luc Mélenchon et Manon Aubry pour défendre le programme économique de la Nupes. Daniel Schneidermann l'a suivie à vélo faire campagne dans une circo acquise à sa cause. Reportage.

NOISY-LE-SEC (93). Enfin un ! Enfin un râleur, qui vitupère ces politiques, tous les mêmes, qui promettent beaucoup et ne tiennent jamais, tiens par exemple la terrasse de son bar, regardez bien, elle n'est pas sécurisée : les scooters peuvent monter sur le trottoir. Il en a parlé à la mairie, rien à faire. C'est le tout premier râleur rencontré le long de cette "vélorution"(déambulation à vélo) du Pré-Saint-Gervais à Noisy-le-Sec, avec Aurélie Trouvé, candidate Nupes de la 9e circonscription de Seine-Saint-Denis, ex-porte-parole d'Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne), que j'ai aimablement été invité à partager (Aurélie roule électrique ; personnellement, on m'a prêté un vélo à l'ancienne, mais j'ai réussi à suivre !)

Enfin un. Parce que pour le reste, cette circonscription, ex-fief de Claude Bartolone, ex-président socialiste de l'Assemblée, où la gauche a atteint 62 % au premier tout de la présidentielle, cette circo en or, en ce samedi, est désespérante d'unanimisme. Ça devient vite la blague de la randonnée :"Daniel cherche un opposant, pour son papier". Sur la terrasse d'un bar des Lilas, dans une rue de Romainville, dans une cité de Noisy-le-Sec, partout : "Bien sûr, je vais voter pour vous !" lancent les passants à la candidate en vélo. "La seule question, chuchote-t-elle, pas trop fort pour ne pas démobiliser les troupes, c'est si je vais être élue au premier ou au second tour". L'économiste vise bien entendu le premier tour.

Si ensoleillée que soit la circo en ce samedi de juin, on est dans le 93. Le 93 et ses services publics en miettes. Justement, trois lycéennes sont venues à l'étape des Lilas, pour rencontrer la candidate. Elles viennent de fonder une association de lycéens, sur le département, Trajectoire 93. Elles racontent trois mois, six mois, un an entier d'absence d'enseignants non remplacée. Un an entier ? Je fais répéter. Oui. Un an entier d'absence de prof de français, en seconde. Et pourquoi ne pas avoir adhéré à un syndicat de lycéens existant ? Réponse diplomatique mais ferme : "Ce sont surtout des Parisiens. Nous, dans le 93, on a des difficultés différentes". Rien que le neuf-trois, mais tout le neuf-trois. 

Une circo socialement composite

"Vous êtes d'où ?" demande-t-on fréquemment à l'ex-porte-parole d'Attac. Sous-entendu : si vous venez d'ailleurs, vous ne pourrez pas comprendre. Soulagement quand elle répond qu'elle habite aux Lilas (demi-vérité, elle y vit à mi-temps). Peu importe. "Leur colère, je la partage. Je ressens la même, quand je vais aux urgences avec un de mes enfants, ou quand je découvre qu'ils ont un prof absent, non remplacé".

Pourtant, sous l'unité de la stigmatisation et de l'abandon, la circonscription est composite. Aux communes relativement bourgeoises des Lilas et du Pré-Saint-Gervais (le prix du mètre carré au Pré monte jusqu'à 8000 euros), on a joint les territoires populaires de Noisy-le-Sec et d'une partie de Bondy. Plus on s'éloigne de Paris, plus le discours de la candidate évolue. Au Pré et aux Lilas, elle se présente : "Aurélie Trouvé, candidate de la gauche et des écologistes". Mais à Noisy et à Bondy, pas question de se présenter autrement que "candidate de Mélenchon".

Car ici aussi, il est omniprésent. C'est bien joli, tous ces candidats, mais on le voudrait en personne, pour soi tout seul. Ce ne sont pas seulement les mères voilées et les gamins des cités qui idolâtrent l'Insoumis Suprême. Écoutons Pierre Sauve, 74 ans, qui peine un peu dans la "Vélorution", un laïc de chez laïc, militant du chorizo et du jaja dans la halte pique-nique ("mais tu vas quand même pas me cataloguer en saucisson-pinard ?"), il est passé par tous les partis et groupuscules de l'ultra-gauche. Pour lui, dans sa vie d'avant de gauchiste, "le rôle des grands hommes dans l'Histoire, c'était caca." Mais depuis quelque temps, constatant que Mélenchon "a quand même forgé une nouvelle gauche", il s'est convaincu que "l'incarnation en politique, ça existe". "Quand les gens de Lutte ouvrière me cassent les burnes avec Mélenchon, je leur réponds : et toi, avec Lénine ?" Et quand, devant lui, quelqu'un reproche à Mélenchon d'avoir remplacé la gauche par "le peuple" : "Et à l'époque, on a bien défendu le peuple vietnamien, non ?"

Un "bébé mélenchon" qui "suit la ligne"

Avec Aurélie Trouvé, nous nous sommes rencontrés pour la première fois sur le plateau d'ASI, voici quelques semaines. "Il a fallu que je me lance en politique pour que vous m'invitiez", m'a-t-elle lancé en arrivant (c'était avant qu'on se tutoie-campagne). Car elle est novice en politique. Pour les Insoumis, Aurélie Trouvé constitue ce qu'on appelle une "prise de la société civile", une de ces militantes-activistes de la planète ou de l'altermondialisme que la politique a aspirées, comme Alma Dufour ou Pauline Rapilly-Ferniot, aussi rencontrées dans ce voyage. Présidente d'Attac à 26 ans, près de vingt ans de vie associative derrière elle, elle s'est immédiatement vue proposer la présidence du parlement de L'Union populaire, cette instance qui regroupe élus, économistes, intellectuels, et sympathisants. Mélenchon est venu personnellement achever de convaincre les militants de la désigner comme candidate aux législatives. Sans grand mal : la sortante LFI Sabine Rubin ne souhaitait pas se représenter. C'est d'ailleurs Rubin, dans sa voiture customisée, qui conduit aujourd'hui la "vélorution".

Mais cette transition de l'activisme associatif à la tambouille politique n'est pas aussi indolore qu'il y paraît. Présidente d'Attac, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ça ne vous prépare pas aux jeux et aux codes des intrigues de pouvoir pour décrocher des postes qui, contrairement au monde associatif, ne sont pas bénévoles. À Attac, on a le droit d'être spontanée, de griller impunément les feux rouges à vélo en simple citoyenne, comme dans les rues de Romainville un samedi de soleil. En politique, non, comme le répètent ses militants, qui ont appris à la candidate à ne pas engueuler les automobilistes irrespectueux : ça pourrait être un électeur ! Et si un vidéaste est dans les parages, attention, un bad buzz est si vite arrivé ! Ne pas dévier de la ligne : toute parole engage l'organisation. Difficile de ne pas voir qu'elle se sent un peu ligotée. À chaque pas, un piège à déjouer. Je me souviens de cette émission à laquelle je l'avais invitée : au téléphone, cette impression de causer à une bonne copine.  Et dès que les caméras tournent, vlan, le masque de la présidente du parlement de L'Union populaire. 

"Quand son nom a été cité, raconte un militant Nupes non insoumis, on était très contents. C'était pas une apparatchik. On est arrivés comme des amoureux. Et en fait on a l'impression d'un bébé Mélenchon. Elle est comme les nouveaux convertis, qui suivent la ligne de manière très rigide."

Si Aurélie Trouvé a conquis sans difficulté la force militante insoumise, les débuts de campagne unitaire ont été plus hésitants. Dans plusieurs municipalités, les Insoumis étaient dans l'opposition aux maires PS. Résultat : les socialistes de la Bartolonie, cette fameuse 9e circonscription de Seine-Saint-Denis, viennent à peine de rejoindre la campagne, à une semaine de la fin. Le retard est parfois de leur fait, parfois du fait de... leurs opposants LFI, pas pressés de voir leur édile socialiste profiter de l'élan Nupes. Elle-même n'était pas très chaude pour faire le premier pas. On en avait discuté au début de la campagne, sur le mode "Oui oui, il faut que je les appelle". Avait-elle alors vraiment envie d'embarquer les socialistes locaux ? "S'ils en ont envie, eux, oui". On a fait plus enthousiaste.

Génération Nupes

Arguant qu'elle était ministrable en cas de victoire, Aurélie Trouvé a refusé à EELV le poste de suppléant, préférant un jeune étudiant LFI de la circonscription, Mehmet Ozguner, 22 ans, manière aussi pour elle de répondre aux reproches adressés à la Nupes de ne pas avoir accordé assez de place aux jeunes racisés des quartiers populaires. Mais ce qui comptait surtout à ses yeux de jeune quadra, plutôt que les militants traditionnels, c'était cette improbable génération Nupes, ces vingtenaires poussés comme des champignons sous la pluie bienfaisante de l'unité de la gauche. 

À propos de pluie, la vélorution touche à son terme. Tension permanente de la déambulation : Aurélie Attac referait volontiers le monde avec chaque passant rencontré. Mais la candidate Trouvé doit respecter le planning. Le râleur de la terrasse a été retourné par les vélorutionnaires. Il ira voter comme il faut. La candidate elle-même n'est pas intervenue. C'est crevant, le vélo, surtout avec une campagne dans les jambes. Et puis,  Noisy-le-Sec est sur le point de perdre son nom sous l'orage extrême qui menace. La planète se rappelle à ses militants.

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