Plus belle Pauline, à l'assaut de Boulogne-Billancourt

Daniel Schneidermann - - Initiales DS - 33 commentaires

Daniel Schneidermann sur les routes du "troisième tour"

Parti sur les routes du "troisième tour", Daniel Schneidermann s'est arrêté à Boulogne-Billancourt, en région parisienne. Dans la 9e circonscription des Hauts-de-Seine, détenue par un macroniste treize fois mis en examen, la candidate de la gauche unie fait jaser : l'EELV Pauline Rapilly Ferniot est en effet adepte des happenings écolo-amusants et consterne une partie de ses alliés.

BOULOGNE (92). Un maillot de bain et une 4L : telles sont les armes fatales de celle qui veut faire tomber Thierry Solère, conseiller de l'Élysée, treize mises en examen au compteur. Solère est député sortant de la 9e circonscription des Hauts-de-Seine. Le maillot, c'est celui du "collectif Ibiza", créé en janvier dernier par Pauline Rapilly Ferniot, conseillère municipale EELV de Boulogne-Billancourt, et Nour Durand-Rocher, sosie de Jean-Michel Blanquer, pour moquer devant des caméras amies le ministre de l'Éducation et son plan sanitaire bricolé aux Baléares. 

Quant à la Renault 4L, c'est celle du père du directeur de campagne de Pauline, rapatriée d'Eure-et-Loir (Twitter et Instagram en témoignent) pour rappeler le glorieux passé Renault de l'usine de Billancourt, Boulbil pour les intimes. "C'est la ville où j'ai grandi, je veux témoigner de cette mémoire ouvrière", dit la candidate investie par la Nupes. 

Un maillot, une 4L, un compte Twitter, un compte Instagram ("c'est plutôt l'Insta qu'il faut regarder, c'est plus intéressant"), cela suffit à fonder une légende. À laquelle s'ajoutent à cadence accélérée de nouveaux épisodes. Pauline, conseillère municipale interdite de micro par le maire de Boulogne. Pauline traînée à terre par un vigile hors d'une conférence de presse de Marine Le Pen, (une invitation chez Hanouna a suivi) après avoir brandi une photo de Le Pen et Poutine dans un grand cœur en carton. Pauline fêtant l'avénement du "président des lobbies" le soir de la réélection de Macron. Plus récemment, elle a lancé une pétition pour s'opposer à la suppression de la série Plus belle la vie (2144 signatures à l'heure où j'écris). Elle en a même fait une affiche électorale, "Plus belle la vie avec Pauline"

Au 6e sans ascenseur

Plus belle Pauline, 26 ans, lance donc ses épisodes, et gère ses shitstorms (les attaques massives sur les réseaux sociaux) en professionnelle, dans un deux-pièces customisé en QG de campagne, au 6e étage sans ascenseur d'un immeuble du centre-ville, métro Marcel-Sembat. Je précise "sans ascenseur", parce que cela impressionne les journalistes qui défilent ces jours-ci pour la portraiturer, et n'ont sans doute pas l'habitude des 6e sans ascenseur. Rien que cette semaine : une pleine page dans L'Huma, une autre dans Le Parisien, qui énumèrent les épisodes de la saga (le maillot, le sosie, le happening Le Pen, etc). On se dit qu'on va avoir du mal à être original. Mais Pauline est généreusement sans filtre avec la presse, et me voilà transformé en testeur de punchlines ("lutter contre les buzz ça marche pas, autant choisir ses buzz"), et en coach fringues pour la soirée de lancement de campagne (j'ai tenté d'aiguiller vers du sérieux, du Boulogne. OK boomer).

Le shitstorm du jour a forcément pour sujet le débranchage par LFI de l'investiture à Vénissieux de Taha Bouhafs, accusé de violences sexuelles. "Tu peux compter sur moi, politiquement et personnellement" : comme tout le monde, avant de connaître les raisons du retrait de Bouhafs, Pauline a d'abord tweeté son soutien à l'ex-candidat, qu'elle connaît bien ("et je n'ai pas retiré mon tweet"). Et puis, informée, assommée, déchirée, comme tous ceux qui avaient érigé en symbole le jeune journaliste, elle a complété : "Comme toujours, je crois les victimes, bravo aux personnes qui parlent". Trop tard. Sous mes yeux, elle est houspillée sur Twitter par un journaliste sportif du Figaro. "Vous le connaissez, ce gros connard ?" L'agresseur ne comptabilisant que 7000 abonnés, contre les 13 000 de Pauline, je déconseille la bagarre (OK boomer, bis).  

Oui, il faut bien confirmer Le Parisien : Pauline agace. Au premier rang des nombreux ennemis officiels, le maire LR de Boulogne, Pierre-Christophe Baguet, l'accuse dans Le Parisien d'avoir défilé avec une pancarte "Bouffe mon clito, pas le climat" (il a même saisi le préfet de l'affaire). Fake news ! En fait, dans une manifestation féministe, Pauline a brandi un canard gonflable façon sextoy portant cette pancarte :  "Un jour les hommes sauront où est le clito. En attendant, je suis là". On aura compris que la candidate, qui a naguère cru à l'engagement sacrificiel pour vaincre son écoanxiété, a dorénavant décidé de militer "plaisir". Au risque d'encourir, même parmi ses alliés, le reproche de narcissisme.

Mais l'heure fatidique approche. Le lancement est programmé dans une micro-brasserie locale, à cent mètres de chez elle. Le magazine Elle et l'AFP seront là, sans parler d'Arrêt sur images ("Dis donc, t'as plein de fans ici, observe-t-elle. Si j'avais su, je t'aurais annoncé sur Twitter"). En guest stars, le transfuge macronien Aurélien Taché et le secrétaire national de EELV Julien Bayou, ange tutélaire de la candidate dans la jungle écolo, que l'on devine nostalgique des collectifs"Sauvons les riches" et de "Jeudi noir", ancêtres du collectif Ibiza, dans la grande tradition des intrusions ultramédiatiques écolo-rigolotes. 

Footings confusionnistes 

Et voilà le problème. Si le collectif Ibiza a accouru en masse (et sans maillots) soutenir sa fêtarde préférée, l'ambiance est plus fraîche du côté de la délégation communiste, nouveaux alliés Nupes, qui revendiquent officiellement le poste de suppléant, avec l'accord des socialistes et des insoumis. Face à eux, la candidate lance, désinvolte : "Si vous trouvez un suppléant communiste dans un coin, n'hésitez pas"Off the record, et après une pinte ambrée artisanale, on comprend que les maillots de bains, le sosie, les happenings et le moi-moi-moi de la candidate ne passent pas du tout auprès des cocos. "Ça ne grandit pas la politique" dit l'un d'eux (plus jeune que Pauline, pourtant). "Et moi, je n'aime pas Plus belle la vie !" cloute Isabelle Goitia, ex-candidate PCF aux municipales. 

Bref, côté gauche, Pauline peut mieux faire. Sans parler de vieilles rancunes sur des campagnes municipales et départementales d'avant Nupes, où Pauline aurait refusé l'union (je n'ai pas le cœur de pousser l'enquête). Sans oublier des footings confusionnistes, que confesse Pauline, avec le jeune Antoine de Jerphanion, ex-collaborateur de Solère, candidat dissident de la majorité présidentielle, qui pense à se présenter... mais à qui elle a proposé d'être son suppléant ("pour tester ses vraies intentions", se défend-elle). Ça fait beaucoup à avaler pour les communistes.

"Si la circo était prenable, on s'investirait davantage" nuance notre jeune communiste sceptique. Il est vrai que la partie sera difficile. Les treize mises en examen du sortant Thierry Solère pour, entre autres, emploi présumé fictif de sa belle-mère, achats d'abonnements familiaux dans des clubs sportifs avec ses frais de mandat, etc ("treize fois présumé innocent" ironise Bayou) ne semblent pas handicaper "le baron noir de l'Élysée" (Le Monde) dans l'électorat des Hauts-de-Seine – on n'est pas loin du Levallois des Balkany. "Oui, bon, qui n'est pas mis en examen ?" a réagi une Boulonnaise au micro de Guillaume Meurice sur France Inter.  Bref, Billancourt ne désespère pas encore, mais se méfie. Vivement que rugisse la 4L.

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