Elon Musk ne vous veut (toujours) pas du bien
Thibault Prévost - - Déontologie - Coups de com' - Clic gauche - 24 commentaires… et X, c'est pour "extrême-droite"
Le triste feuilleton du pseudo-combat entre Elon Musk et Mark Zuckerberg pousse timidement la profession à s'interroger : et si on changeait notre manière de couvrir l'actualité du milliardaire ? La réponse est oui, et il faut le considérer comme un activiste de la haine.
Et si, cette fois-ci, c'était la bonne ? Et si, à force de dévaluer quotidiennement la définition d'une information d'intérêt public, Elon Musk, l'adulescent le plus riche du monde, avait enfin réussi à provoquer un sursaut d'orgueil chez certains journalistes ? Oh, pas tous, évidemment. Une simple mention de son patronyme sur un moteur de recherche produira inévitablement une avalanche de vacuité éditoriale, à peine digne des pires tabloïds britanniques, qui se contentent le plus souvent d'ajouter 300 à 400 mots de contexte au dernier tweet de sa Majesté du vide – dans le jargon pure player, on appelle ça une brève, voire une "news" pour les rédactions les plus start-uppées. La joie de couvrir l'actualité d'Elon Musk, c'est donc lire des "articles" aussi enrichissants que celui de The Wrap, le 14 août, qui nous apprenait que le patron de Twitter était prêt –source : son tweet – à se rendre, sa Tesla en mode autopilotage, devant la porte du domicile de Mark Zuckerberg à Palo Alto, et à filmer le tout grâce à la nouvelle fonction livestream de sa voiture. "S'il ouvre la porte", écrit Musk, "le combat aura lieu !". Bien évidemment, comme tout ce qui touche à cette déjection médiatique, la scène n'a jamais eu lieu. L'important, c'est d'avoir fait de la publicité gratos.
À l'aube de l'été, dans le creux journalistique commence un duel médiatique d'une inanité absolue.
Si vous ignorez de quoi je parle, je suis sincèrement désolé pour les lignes qui vont suivre ; si vous êtes au contraire au courant de ce qui se passe, je suis tout autant désolé pour vous. Je vais faire bref. Rien de ce qui suit n'est de l'information. Le 20 juin dernier, alors que Facebook se prépare à lancer Threads, son concurrent direct à Twitter/X, Elon Musk défie Mark Zuckerberg à un combat de MMA (mixed martial arts, discipline où des combattants de différentes écoles de combat traditionnel s'affrontent dans une cage octogonale). Il le fait en tweetant "chaud pour un combat en cage s'il l'est LOL". Zuckerberg, bigorexique notoire fan de jiu-jitsu brésilien (le nouveau sport favori des tech bros californiens en quête d'une virilité imaginée), répond du tac au tac sur Instagram "envoie-moi l'adresse". À l'aube de l'été, dans le creux journalistique commence un duel médiatique d'une inanité absolue, chaque point étant religieusement relayé par une presse entre scepticisme et fascination.
Les non-informations s'enchaînent. Le combat aura lieu à Vegas. Il sera diffusé sur X, sur les réseaux de Meta (Facebook et Instagram). Les recettes seront reversées aux anciens combattants (de l'armée, pas de l'UFC). Il aura lieu le 26 août, dans un lieu "épique" en Italie. Au Colisée de Rome, écrit Musk ! Le ministre italien de la Culture confirme à demi-mot. Sur Twitter/X, Musk est vu à l'entraînement avec une légende retraitée du MMA. C'est sûr, le combat aura lieu. On prend déjà les paris à la machine à café : Musk a 14 ans et une trentaine de kilos de plus que son adversaire, aucune expérience du combat, aucune discipline alimentaire, sa seule chance de victoire est d'écraser le Zuck sous son poids, etc. Et puis, tout s'effondre. On dit que Zuckerberg relance et que Musk esquive; le patron de Twitter explique qu'il doit d'abord être opéré. Le ministre italien fait le mort, mais plusieurs villes italiennes continuent de proposer leurs temples aux milliardaires. L'agenda s'enlise. Et le 13 août, Zuckerberg, sur Threads, explique qu'il lâche l'affaire, que Musk n'est pas sérieux , qu'il ne parlera plus du combat et qu'il est "temps de passer à autre chose". Réponse de l'intéressé, sur Twitter : "Zuckerberg est une poule mouillée."
Vous venez de lire le feuilleton le plus débile de l'été : la médiocrité de notre élite techno-féodale poussée à son paroxysme spectaculaire.
Voilà. Rien de tout ce que vous venez de lire ne mérite le temps que j'ai passé
à l'écrire, encore moins le temps que vous avez passé à le lire. Vous venez de lire le feuilleton le plus débile de l'été : la médiocrité de notre élite techno-féodale poussée à son paroxysme spectaculaire. Et à ma manière, en résumant l'absence de faits, je me fais le complice, à mon échelle, de sa pérennité dans la sphère publique. Comme l'écrit le New Statesman, "peu importe qui gagne, nous perdons". Vous, moi, l'information, le collectif. Tant de temps et d'énergie gaspillés pour une révolution dans le néant, quand nous aurions pu (et dû) écrire sur les 110 milliards de dollars empochés par Musk au premier semestre 2023, sur l'arrivée prochaine du Digital services act (DSA) européen, sur les recettes publicitaires de Twitter divisées par deux depuis l'arrivée de Musk.
Il y a de quoi se prendre la tête entre les mains. Nous sommes, chacun dans notre rôle, otages de l'insipide. Condamnés à subir un régime de l'information chaque jour un peu plus colonisé par l'étrangeté et les fables du marketing de l'attention. C'est acquis, nous naviguons désormais dans ce que le blogueur Venkatesh Rao appelle le "Permaweird", un espace public planétaire archipélisé où la réalité consensuelle a laissé place à une superposition incessante de récits cacophoniques et contradictoires. Dans cette réalité de Schrödinger, la possibilité de voir Elon Musk et Mark Zuckerberg s'agripper l'un à l'autre en suant et en éructant en livestream payant au Colisée de Rome devient à la fois un évènement médiatique et une fanfiction trollesque, une information sourcée et un shitpost. Comme pour les particules, impossible de trancher tant qu'on ne l'observe pas.
Ça tombe bien, c'est normalement là que les journalistes interviennent. Et certain·es commencent, doucement, à en avoir (un peu) marre de leur complicité active dans le hold-up attentionnel constant qu'est devenue la stratégie médiatique d'Elon Musk. Iels commencent à se rappeler qu'à l'époque, aux temps anciens précédant les chaines d'info en continu, la post-vérité et l'infinite scrolling, quand les faits se vérifiaient et que la superficie de papier était limitée, le métier s'articulait autour de la notion de hiérarchie de l'information. En ces temps anciens, on n'hésitait pas à refuser de publier une information, blasphème aujourd'hui impensable au temple du Flux. Les articles, alors, s'écrivaient au présent plutôt qu'au conditionnel. Les journalistes étaient doté·es d'une grande responsabilité sociale : celle de choisir, selon une ligne éditoriale, ce qui valait la peine d'être lu par le lectorat.
Le réveil est, disons, timide. Aux États-Unis, The Verge a doucement commencé à lâcher l'affaire, notamment dans la titraille, où l'on pouvait lire le 14 août que "l'embrouille Musk/Zuckerberg a atteint un nouveau degré d'absurde". Au Washington Post, le chroniqueur Adam Lashinsky propose que"nous arrêtions de nous convaincre que les titans de la tech ont une capacité d'oracle sur autre chose que la tech". En France, sur FrAndroid, média spécialisé tech appartenant au groupe Humanoid, le journaliste Cassim Kefti tente une critique façon "en même temps", qui suggère à la fois "d'analyser et de remettre en contexte" les déclarations imbéciles de Musk et du Zuck, tout en concédant que "les discours des deux milliardaires sont des faits d’actualité qu’il est difficile de totalement ignorer". Sur France Inter enfin, un Débat de midi (pas inintéressant par ailleurs) angle la discussion sur "Elon Musk : mauvais génie ou sauveur de l'humanité ?". Un cadrage tout à fait symptomatique de l'opinion journalistique partagée envers l'entrepreneur, puisqu'il parvient à être à la fois à côté de la plaque (Musk n'est ni l'un ni l'autre), obséquieux, et totalement dépolitisé – le génie est par définition un être en surplomb, exempt des catégorisations politiques, qui ne s'analyse qu'à l'aune de son individualité exceptionnelle.
Ne restent finalement (attention, cette cabriole est effectuée par un professionnel) que mon rédacteur en chef et estimé collègue Loris Guémart qui, sur Proxy, évacue sa consternation qu' "à chaque fois que Musk tweete, l'AFP fait une dépêche". En citant (comme FrAndroid d'ailleurs, ndlr) Casey Newton, influent journaliste tech et créateur de la newsletter Platformer. Qui met les pieds dans le plat en déclarant l'évidence : "Il est temps de changer notre manière de couvrir Elon Musk." Newton part du principe que la presse l'a déjà fait avec un autre homme d'influence planétaire aux tendances mythomanes : le candidat Donald Trump de 2016, dont "la presse s'est graduellement mise à douter des déclarations". Résultat : "Dans certains cas, les chaînes câblées ont cessé de diffuser ses apparitions en direct, faute de pouvoir vérifier ses déclarations en direct. […] Au vu du dernier bilan [de Musk], il est plus que temps que la presse le traite avec un scepticisme équivalent." Amen.
Presque tout ce que le public croit savoir d'Elon Musk, ingénieur et entrepreneur génial au service de l'Humanité, est fallacieux ou carrément faux.
La comparaison ne sort pas de nulle part : outre leur addiction à
Twitter, l'ex-président états-unien et
l'homme-qui-servit-de-modèle-à-Tony-Stark ont une stratégie de
communication et un projet politique de plus en plus similaire. Au point
que Musk pioche désormais sans vergogne dans l'arsenal dialectique
trollesque du Trump de 2016. Je ne vais pas réécrire ici ce à quoi j'ai déjà consacré une chronique entière l'année dernière : presque tout ce que le public croit savoir d'Elon Musk, ingénieur et entrepreneur génial au service de l'Humanité, est fallacieux ou carrément faux. Son récit personnel, relayé par la presse, est un patchwork fictionnel sans cesse reconfiguré. Comme Trump, Elon Musk raconte majoritairement n'importe quoi, sur tout le spectre de l'affabulation : demi-mensonge et vraie diffamation, parjure, fables, promesses, menteries par omission, salades, inventions, tout y passe.
À tel point que, comme pour Donald Trump, un site décline désormais le catalogue infini de ses billevesées. Comme Trump, Musk maîtrise l'art du "pseudo-événement", une farandole ininterrompue de "ballons d'essai chaotiques", dixit Charlie Warzel pour The Atlantic. Des annonces qui enclenchent un cycle médiatique, la plupart du temps pour rien mais qui parfois,juste assez souvent pour ne pas pouvoir les ignorer, deviennent réellement une information. Rageant. Comme Trump, Elon Musk parvient à court-circuiter le recul critique de ses fans comme de ses adversaires. Ces derniers n'hésitant pas à "couvrir", produire et partager des articles sur la fin prochaine, et inévitable, de Twitter. Pendant que les premiers jurent y déceler une partie d'échecs en 5D menée par une intelligence supérieure. Une polarisation qui s'autorenforce sur des plateformes conçues pour valoriser le contenu clivant.
La presse états-unienne reproduit avec Musk les mêmes biais, les mêmes dénis et, in fine, les mêmes erreurs coupables qu'avec Trump.
Le problème est plus profond qu'une simple affaire de forme. Comme l'écrivait déjà Roger McNamee pour Time en décembre 2022, la presse états-unienne reproduit avec Musk les mêmes biais, les mêmes dénis et, in fine, les mêmes erreurs coupables qu'avec Trump. Elle cherche du sens dans un récit volontairement insensé, une logique dans l'absurde, une réflexion dans la pulsion. Elle s'obstine à respecter les règles, la véracité des faits et le respect du contradictoire, face à une parole qui prend plaisir à profaner ces jolis temples éthiques. Elle pense pouvoir gagner contre le patron de Twitter… sur Twitter. Comme elle s'obstinait jadis à sacraliser la parole présidentielle, parce qu'un président des États-Unis ne pouvait pas raconter n'importe quoi, elle sacralise la parole de l'homme le plus riche du monde, parce qu'une personne assise sur tant de pouvoir ne peut pas être irresponsable.
Les Trump et les Musk de notre époque, dans leur médiocrité, sont littéralement inconcevables pour une partie des journalistes. Leurs outils de représentation du monde n'incluent pas ce nouveau type de personnalité médiatique. Car leur existence même brise un axiome tacite du récit capitaliste : que ceux qui possèdent pouvoir et richesse, objets de désir universels, sont a priori supérieurs au commun des mortels. En 2016, Jay Rosen observait à travers la montée de Trump le "crash" du logiciel médiatique, qui partait jusqu'alors du principe que les puissants (occidentaux, du moins) n'ont aucun intérêt politique à accélérer la désintégration de la réalité consensuelle en racontant littéralement tout et son contraire. Face à un Trump en pleine percée électorale, Rosen exhortait la profession à mettre à jour ses préconceptions sur les stratégies d'influence et le régime de vérité factuelle. La presse l'avait fait, lentement, péniblement, et presque à contrecœur, ne marquant définitivement la rupture avec la réalité parallèle trumpiste que lors de sa campagne de 2022.
Et si l'on partait du principe que, comme Trump avant lui, Elon Musk est désormais un activiste d'extrême-droite ?
Il devient alors urgent de déboulonner les statues de respectabilité que nous leur avons construites, et de proposer d'autres récits de ces personnalités médiatiques qui portent des ombres gigantesques sur l'espace informationnel. Permettez-moi donc de vous proposer une nouvelle grille de lecture : et si l'on partait du principe que, comme Trump avant lui, Elon Musk est désormais un activiste d'extrême-droite ? Pire, l'activiste d'extrême-droite le plus influent de la planète ?
Si vous hésitez à me suivre, je comprends la réticence. Instinctivement, on a du mal à imaginer que l'homme le plus riche du monde se place à cet extrême idéologique. Et puis, c'est bien connu, les journalistes-militants de gauche (coucou) voient du facho partout. Comme c'est grossier. Les journalistes-journalistes, objectifs et rationnels, eux, voient du "populisme de droite", de "l'illibéralisme", de l'alt-right, voire du "post-fascisme" (sic), c'est déjà bien mieux élevé.
Sous la gouvernance d'Elon Musk, utiliser le mot "cis" (pour "cisgenre") sur Twitter peut vous valoir une suppression de compte. Être un militant antifasciste aussi.
Examinons néanmoins ensemble le faisceau d'indices dont nous disposons, et commençons par Twitter. Sous la gouvernance d'Elon Musk, qui déteste la presse (on y reviendra), Twitter a bloqué des journalistes de CNN, du Washington Post et du New York Times, et répond automatiquement aux demandes des médias par un emoji caca. Sous la gouvernance d'Elon Musk, Twitter a reçu une amende de 350 000 dollars pour avoir refusé d'obéir à un mandat de perquisition du ministère de la Justice des États-Unis concernant l'activité Twitter de Donald Trump, dans le cadre de l'enquête sur la passation de pouvoir entre Trump et Biden – dit autrement, pour avoir choisi de faire obstruction à la justice pour protéger le président sortant. Sous la gouvernance d'Elon Musk, utiliser le mot "cis" (pour "cisgenre") sur Twitter peut vous valoir une suppression de compte. Être un militant antifasciste aussi.
Ce n'est pas fini. Sous la gouvernance d'Elon Musk, l'influente communauté "Black Twitter", socle du mouvement #BlackLivesMatter, est devenue une "diaspora numérique". Sous la gouvernance d'Elon Musk, la présence du qualificatif raciste "nègre" a été multipliée par cinq sur Twitter. Sous la gouvernance d'Elon Musk, Twitter a réinstauré 12 000 comptes bannis du réseau pour appel à la haine, parmi lesquels Donald Trump et une phalange de néonazis, d'antisémites, de masculinistes, de climatosceptiques, de complotistes QAnon et d'autres VRP de la xénophobie. Qui bénéficient désormais le plus largement du nouveau système de rémunération mis en place par la plateforme (aux côtés des comptes de reprises d'infos virales, en particulier des faits divers décontextualisés, principal sujet d'indignation journalistique en France, ndlr).
Ce système de rémunération attaché aux abonné·es "Blue", résume Salon, va verser des milliers, parfois des dizaines de milliers de dollars aux influenceurs de la haine les plus viraux, comme l'ancien boxeur reconverti tête de gondole masculiniste Andrew Tate. Selon l'ONG Center for countering digital hate, dix comptes d'extrême-droite nouvellement réinstaurés vont permettre à Twitter d'engranger 19 millions de dollars de recettes publicitaires annuelles. Sous la gouvernance d'Elon Musk, Twitter a porté plainte contre l'association qui a eu l'outrecuidance de publier ces résultats. Sous la gouvernance d'Elon Musk, écrit Charlie Warzel pour The Atlantic, "le site s'est indiscutablement transformé en un réseau social alternatif, qui fournit un havre aux influenceurs d'extrême-droite et affiche les centres d'intérêts, les préjugés et les théories du complot de l'aile droite de la politique états-unienne". Twitter est donc un réseau social d'extrême-droite. Mieux, Warzel affirme dans un autre article de décembre 2022 que "si l'on doit juger Musk uniquement sur ses actions en tant que dirigeant de Twitter, on doit le qualifier de militant d'extrême-droite". Au tour de Musk, donc.
Faisons bref – je sens que l'énumération devient un peu indigeste. Musk déteste les journalistes "qui pensent qu'ils sont la seule source légitime d'information". Il a appelé à "définancer" la radio associative publique états-unienne NPR, et comparé l'ONG d'investigation Bellingcat à "de l'agit-prop", avant de limiter son exposition sur Twitter. La raison ? Bellingcat avait identifié Mauricio Garcia, auteur d'une fusillade dans un centre commercial texan, comme un néonazi sur la base de tatouages de svastika, ce que Musk a commenté comme"soit l'histoire la plus étrange de tous les temps, soit de la mauvaise agit-prop". Musk a défendu le dessinateur de Dilbert Scott Adams, qui a décrit les Afro-américains comme un "groupe haineux". Elon Musk pense que les médias états-uniens, après avoir "longtemps été racistes contre les non-Blancs, sont désormais racistes contre les Blancs et les Asiatiques".
Elon Musk pense que "le virus de l'esprit woke" est une menace existentielle, phrase qui pourrait être affichée en Une du Point.
Il pense aussi que des militants de gauche"poussent ouvertement pour un génocide blanc" dans son pays d'origine, l'Afrique du Sud. Sous les vivats (sur Twitter, évidemment) de la nébuleuse suprémaciste blanche états-unienne, qui salue son nouveau membre avec ferveur. Elon Musk, qui a lui-même une dizaine d'enfants, est obsédé par le supposé "désastre démographique" à venir, également appelé… "grand remplacement". Elon Musk pense que "le virus de l'esprit woke" est une menace existentielle, phrase qui pourrait être affichée en Une du Point. Elon Musk reprend régulièrement les symboles de l'alt-right numérique, comme la grenouille Pepe ou l'insulte "cuck" – en affirmant que "Zuck is a cuck", soit "Zuckerberg est un cocu". Elon Musk appelle à voter Républicain et considère le long-termisme de William MacAskill, un mouvement idéologique qui flirte ouvertement avec le suprémacisme blanc et l'eugénisme, comme "très proche de [sa] philosophie". Je m'arrête là, mais la liste continue.
Il faudrait être politiquement malvoyant, ou fanatique d'euphémismes, pour qualifier l'activité de Musk d'autre chose que d'entreprise de haine. Il est temps d'ouvrir les yeux, de sortir de la déférence réflexe et de cesser de lui trouver des excuses. Et il ne faut surtout pas reproduire l'erreur commise avec Trump, celle de l'approche psychologisante, qui consiste à l'envisager comme un "fou", véritable cul-de-sac analytique. Ni "mauvais génie" ni "sauveur de l'humanité", Musk est simplement un militant d'extrême-droite, un troll d'extrême-droite, un patron d'extrême-droite, et une personnalité (géo)politique d'extrême-droite. Il est temps pour les journalistes qui le couvrent de le considérer a priori comme tel, d'envisager ses déclarations et ses actes à l'aune de cette catégorisation, et de le traiter médiatiquement comme le méritent les personnalités de son camp. Avec méfiance, avec répulsion, avec la conscience du danger qu'un homme aussi puissant aux idées si toxiques représente pour le socle commun.
Musk et Trump sont, chacun dans leur trajectoire, la vitrine d'édifices politiques radicaux, organisés et extrêmement bien financés, qui défendent une vision suprémaciste, réactionnaire et xénophobe des sociétés occidentales.
Il n'est plus l'heure de relayer mais de combattre. Il est l'heure, aussi, de sortir de l'approche historique du "grand homme", cette croyance selon laquelle les individus changent l'histoire à la seule force de leur volonté. Il faut arrêter le reductio ad muskum. Musk et Trump sont, chacun dans leur trajectoire, la vitrine d'édifices politiques radicaux, organisés et extrêmement bien financés, qui défendent une vision suprémaciste, réactionnaire et xénophobe des sociétés occidentales. Leur existence est permise par un zeitgeist politique et médiatiquequi a poussé la fenêtre d'Overton à des extrémités inédites, et normalisé la xénophobie comme stratégie de communication politique et commerciale.
"Avec son rachat de Twitter, Musk démontre un véritable pouvoir politique aligné avec la droite, rappelle aussi Jacob Silverman. Il n'est plus seulement un industriel crieur de rue de carnaval qui fait feu d'une hype artificielle et profite de largesses gouvernementales. À l'inverse, il se révèle en dangereux marchand de pouvoir." Car quand il n'est pas occupé à se faire cirer les pompes à VivaTech par des dirigeants politiques transformés en courtisans énamourés, Musk, qui contrôle la flotte de satellites Starlink indispensables à l'armée de Volodymyr Zelensky, déplace la ligne de front de la guerre en Ukraine au jour le jour, en fonction de ses intérêts commerciaux et idéologiques, à la stupéfaction des diplomates et des généraux. Sans aucun recours possible. Du jamais vu dans l'histoire de la guerre. Un autre terrain où Musk a compris l'essentiel : monopoliser l'information, c'est monopoliser le pouvoir. Et ça, dans la hiérarchie de l'info, c'est un peu plus important qu'un match de MMA.