Snowden : le lanceur d'alerte se dévoile dans la presse

Gilles Klein - - 0 commentaires

 

Manning n'est plus seul !Le Guardianet le Washington Post affichent à la Une le visage de Edward Snowden (29 ans), ancien technicien de la CIA, travaillant pour la National Security Agency (NSA) via un fournisseur privé, qui a fourni à ces deux journaux des documents révélant l'existence de Prism, un système de surveillance utilisant des données des géants du Net. Snowden a quitté les USA pour se réfugier à Hong Kong.

C'est le visage du jour, celui de ce whistleblower (lanceur d'alerte) qui a fait fuiter le programme Prism. Après l'avoir rencontré pendant plusieurs jours, le Guardian a révélé, le premier, dimanche sur son site Web, le nom de Snowden, à la demande de l'intéressé lui-même.

Le visage de Snowden est, bien sûr, à la Une du Guardian ce lundi "Je ne peux pas laisser le gouvernement américain détruire notre vie privée et nos libertés fondamentales."

Ayant d'abord travaillé pour la CIA, Snowden collaborait depuis quatre ans avec la NSA via différents fournisseurs extérieurs. Il gagnait très bien sa vie (200 000 dollars/an) mais dit ne "pas pouvoir vivre dans un monde où tout est enregistré."

Il y a trois semaines, après avoir copié des documents secrets, et demandé un congé pour maladie, Snowden a quitté son poste dans une antenne de la NSA à Hawaï, et s'est enfui à Hong Kong, sans prévenir ses proches, pas même sa petite amie.

Snwoden se dit conscient des risques qu'il prend, et sait que les autorités vont enquêter sur sa famille et ses amis, et qu'on va lui faire payer ce geste spectaculaire.

Le nom de Snowden est maintenant connu dans le monde entier, comme celui du soldat Manning, qui passe actuellement devant la justice militaire américaine pour avoir donné à Wikileaks, en 2010, des centaines de milliers de fichiers confidentiels du gouvernement américain. Nous vous en parlions ici.

"Je n'ai pas l'intention de me cacher, je n'ai rien fait de mal" déclare Snowden qui a répondu aux questions du Guardian dans une interview texte+ vidéo de 12 minutes.


Interrogé par le Guardian, Snowden dit de Manning qu'il "a été inspiré par le bien public". Il ajoute qu'il n'a pas voté Obama en 2008, mais a soutenu le républicain Ron Paul, un des pères du mouvement Tea Party, candidat à la primaire républicaine pour l'élection présidentielle signale le Washington Post. Ce dernier a notamment fait campagne contre l'intrusion de l'Etat dans la vie privée, mais n'a pas été choisi par son parti. Snowden ajoute, à propos d'Obama, "qu'il croyait à ses promesses" alors qu'Obama n'a fait "que poursuivre la même politique que ses prédécesseurs."

Face à la réaction d'Obama qui a justifié l'existence du programme Prism, après la publication des documents de la NSA, la semaine dernière, Snowden dit que le président américain "essaie de se défendre lui-même, il essaie de défendre l'injustifiable, et il le sait".

Snowden a quitté Hawaï pour Hong Kong le 20 mai dernier. Il n'en a pas bougé depuis. Il dit avoir choisi cette ville car elle est connue pour "sa liberté d'expression" et qu'on y reconnaît le droit "d'être un dissident" tout en pensant que c'est l'un des rares pays du monde qui puisse résister à une demande des USA.

Snowden confiné dans sa chambre d'hôtel à Hong Kong

Depuis son arrivée, il n'a quitté son hôtel que trois fois, et se fait servir ses repas dans sa chambre. Il met des oreillers contre le bas de sa porte pour éviter que l'on glisse un système d'observation. Quand il travaille sur son ordinateur, il se couvre sa tête et l'appareil avec une couverture, car il veut éviter qu'une caméra cachée dans la pièce puisse voir ses mots de passe.

Il sait que différents services de renseignement et de police ont déjà visité la maison d'Hawaï qu'il partageait avec sa petite amie. Il s'inquiète pour son avenir, sachant que le gouvernement chinois pourrait vouloir l'interroger, et que tous les services américains le cherchent. Il risque donc de se faire enlever et envoyer aux USA, soit par des agents américains, soit par des partenaires des USA. Mais précise qu'il "n'a pas peur, parce qu'il a choisi en connaissance de cause".

Au cours des heures d'interview avec le Guardian, il n'a affiché de l'émotion qu'à un moment, en évoquant sa famille qui va subir les conséquences de son action : "cela m'empêche de dormir la nuit".

Après avoir vécu avec sa famille dans le Maryland, non loin du siège de la NSA, il s'est engagé dans l'armée en 2003, dans les Forces Spéciales, pour combattre pour la liberté du peuple irakien. Mais il a été très vite déçu en découvrant la vision que les soldats avaient des Arabes en général. Ayant été blessé au cours d'un entraînement, il a finalement été réformé.

Ensuite, il a commencé à la NSA comme garde, puis ses compétence en informatique lui ont permis de travailler à la CIA. Il s'est retrouvé en poste à Genève, en 2007, où on le faisait passer pour un fonctionnaire du corps diplomatique. C'est là qu'il a commencé à perdre ses illusions. Il a quitté la CIA en 2009, et commencé à travailler pour la NSA via des sociétés extérieures.

une demande d'asile à l'islande ?

Considérant que la NSA menaçait la démocratie, il savait qu'il passerait à un moment ou un autre à l'action, pour dénoncer cette surveillance omniprésente. Snowden ajoute qu'il a soigneusement sélectionné les documents qu'il a rendus publics, alors qu'il en détenait beaucoup d'autres. Mais il voulait éviter de provoquer des dégâts, ce qui n'est pas son but, explique-t-il, avant de conclure qu'il souhaite que son action soit finalement positive pour les Etats-Unis.

Quant à son avenir, Snowden espère que les autorités de Hong Kong ne vont pas l'expulser. Il pense pouvoir demander l'asile à l'Islande, ajoutant qu'il espère aussi ne pas faire l'objet d'un mandat de recherche international émis par Interpol.

"L'homme qui a dévoilé des secrets de la NSA sort de l'anonymat"

Le Washington Post aussi parle de Snowden. Le premier contact direct du journal avec son informateur remonte au 16 mai. Snowden avait alors choisi le pseudo Verax ("celui qui dit la vérité" en latin).

Il a demandé au Washington Post que l'intégralité de la présentation du programme Prism (41 pages) soit publiée.

Mais le quotidien a choisi de n'en publier que quatre pages après voir consulté les autorités. Du coup, Snowden a répliqué en disant qu'il regrettait de ne pas pouvoir faire confiance à un seul interlocuteur et a décidé de contacter le Guardian.

Le journal souligne que sa carrière dans les services secrets est étonnante, car il n'a pas de diplôme particulier, c'est sa compétence dans l'Internet et la programmation qui l'ont fait engager et surtout progresser rapidement.

polémique sur l'accès de snowden aux documents nsa



Le New York Times, lui, n'a pas d'interview de Snowden, mais couvre largement l'histoire. Il explique que Snowden est employé par la société Booz Alen Hamilton, un sous-traitant géant qui travaille pour le gouvernement. Inconnue en France, l'entreprise, née à Chicago, a 80 bureaux aux USA, et 26 000 employés.

Elle va fêter son centenaire en 2014. Elle a gagné des milliards de dollars au cours des dix dernières années, grâce à des contrats secrets passés avec l'administration. Elle se présente comme le premier défenseur de l'infrastructure informatique secrète des USA. Mais elle est aussi présente en Georgie, en Russie ou au Qatar.

Un ancien directeur adjoint de la NSA estime qu'un employé d'une société contractante, extérieure à la NSA, n'aurait jamais dû avoir accès aux documents qu'il a diffusés.

  

Sur Snowden, lire aussi la chronique de Daniel Schneidermann "Snowden, chapeau!"

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