Macron sur TF1 : questions intimes, climat nulle part
Loris Guémart - - Médias traditionnels - Déontologie - 10 commentairesPendant près de deux heures, Emmanuel Macron a fait campagne sur TF1 ce mercredi 15 décembre. Face à lui, Darius Rochebin et Audrey Crespo-Mara ont posé moult questions complaisantes ou intimes, et aucune sur la menace climatique, ni sur les violences policières ou les accusations de viol contre Gérald Darmanin. Montage et analyse.
On aurait pu vous montrer qu'Audrey Crespo-Mara et Darius Rochebin ont insisté pour faire dire à Emmanuel Macron qu'il menait une politique "socialiste", et comment la question du "grand remplacement" est désormais un incontournable des interviews de TF1. Ou la manière très pujadienne dont Rochebin amène ses questions, toujours retranché derrière des locutions telles que "beaucoup de gens", "certains disent", du moins quand il s'agit de la gauche – des propositions de Pécresse et de Zemmour leur ont par contre été directement attribuées. Mais on a choisi de rassembler deux minutes de deux types de questions : celles, introspectives, intimistes et parfaitement inutiles, que même le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung a relevées ; et celles, insistantes, pour faire dire à Emmanuel Macron que oui, il est candidat à sa réélection – un grand classique du journalisme politique français (il ne l'a pas dit).
La vaccination... en 2020 ?
Nous aurions rêvé qu'elles soient remplacées par deux minutes de questions à propos d'un enjeu colossal : le dérèglement climatique, dont il ne fut pas question dans la bouche des deux journalistes ce soir du 15 décembre. "On jugerait cela triste si seulement la crise climatique n’allait pas
devenir – quand elle ne l’est pas déjà – source de toutes les autres
crises. C’est en réalité effrayant", résume le chef du service politique de Libération
. "Nous allons vous poser toutes les questions, sur tous les sujets", avait pourtant annoncé Rochebin dès le début. Il faut croire que le dérèglement climatique n'est pas un "sujet". Ou qu'il n'était pas suffisamment important pour passer l'étape du montage – le groupe TF1 a annoncé qu'il diffuserait sur LCI une version "plus longue" de cet entretien, enregistré trois jours avant diffusion.
Mais les questions climatiques et écologiques ne furent pas les seules grandes absentes de cet entretien pourtant garanti "sans concession" par le groupe TF1. Crespo-Mara et Rochebin sont parvenus à ne pas dire un mot des violences policières et des dérives du maintien de l'ordre à la française, questions pourtant centrales dans le rapport entre l'État et les citoyens lors du mandat de Macron. Ils n'ont pas plus mentionné Gérald Darmanin lorsque vinrent sur le tapis les accusations de viol visant Nicolas Hulot. Léger malaise, alors que Darius Rochebin est lui-même accusé de faits de harcèlement et d'agressions sexuelles à la RTS, son précédent employeur – l'enquête interne l'a "blanchi"sans convaincre les médias suisses.
Les deux journalistes ont également laissé filer un certain nombre de mensonges du président-candidat. Y compris quand l'erreur est évidente : "Quand je suis allé, durant le premier confinement, en Seine-Saint-Denis pour voir la vaccination, il y a eu un moment bouleversant où des habitants étaient à leurs fenêtres et chantaient la Marseillaise". Sauf que de vaccination, il n'y avait pas à cette époque, en 2020. Ce que ne relèvent pas les journalistes. Suit une tirade autosatisfaite autour de sa décision de rouvrir les écoles pour des raison sociales. Nul ne se souvient, et c'est dommage, que ce 7 avril 2020, il s'était retrouvé face à des travailleurs sociaux et des soignants qui lui décrivaient en des termes très durs l'absence de masques et de tenues de protection. Lui-même portait pour la première fois un masque... après avoir dit à quel point ils étaient inutiles.
Benalla, une "affaire d'été"
Face à Rochebin et Crespo-Mara, Macron a donc fait du Macron. Benalla ? Pas une affaire d'État, bien sûr, mais "une affaire d'été" : la question la plus virulente des intervieweurs fut de Rochebin, pour lui demander s'il n'avait pas "protégé trop longtemps" Benalla. Alors même que de nombreuses complicités dans l'appareil d'État, et bien des mensonges du pouvoir, ont ponctué les affaires Benalla. La parole des citoyens ? Elle vaut moins que celle d'un élu, affirme Macron avant d'expliquer que c'est pareil pour la parole scientifique à propos de l'épidémie – les intervieweurs ne lui rappellent pas que lui-même s'était érigé en épidémiologiste au printemps 2021.
Quant à l'éducation, tout-va-bien ! "On a eu des résultats" sur les classes dédoublées en primaire, affirme-t-il avec beaucoup plus d'enthousiasme que les analyses (certes positives) issues des évaluations internes de l'Éducation nationale. Pas de contradiction côté journalistes. La scolarité obligatoire en maternelle ? Une réussite, dit-il, "10 à 15 %" des enfants n'y allaient pas. C'est faux : 97,5 % des enfants de 3 ans étaient scolarisés avant sa réforme. Pas de contradiction côté journalistes. À 22 h 12, Macron explique à propos de sa réforme des retraites, le ton lourd, que Rochebin et Crespo-Mara (ou lui) font des métiers infiniment moins durs que, par exemple, un "conducteur poids lourds" ou une "auxiliaire de vie", menés à porter de lourdes charges. Aucun des deux journalistes ne lui rappelle qu'il a lui-même détricoté une bonne partie des éléments permettant de prendre en compte la pénibilité dans la réforme des retraites de 2014 – y compris la "manutention manuelle de charges", pour reprendre l'exemple donné.
Quinze minutes plus tard, l'autosatisfaction règne toujours lorsqu'il est question des violences faites aux femmes : "On a formé des policiers et des gendarmes", se félicite-t-il comme si tout était désormais réglé grâce à lui – en face, les journalistes restent silencieux malgré les nombreux témoignages attestant du contraire, par exemple à Montpellier il y a quelques semaines. Ce n'est pas tout. Macron se félicite de la multiplication des contrôles de toutes sortes touchant les associations et lieux de culte musulmans ? En face, pas un mot de la récente protestation officielle du Conseil français du culte musulman. Macron remercie les maires pour leurs investissements dans des caméras de surveillance ? Pas un mot du jugement sévère de la Cour des comptes quant à leur efficacité. De quoi faire regretter l'interview d'Edwy Plenel et de Jean-Jacques Bourdin : le début du mandat est décidément bien loin.
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