Karachi : la "bombe Millon" avait déjà explosé dans un livre
Dan Israel - - 0 commentairesLes révélations de Millon, une "bombe"… qui aurait pu exploser il y a six mois.
Depuis ce matin, les médias en ligne, les radios et les chaînes d'info continue relayent en boucle l'information dévoilée par le site du Nouvel Obs : Charles Millon, l'ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac, a confirmé pour la première fois devant la justice l'existence de rétrocommissions, versées à des hommes politiques français dans le cadre de vente d'armes, notamment au Pakistan en 1994 et 1995.
Le spectre du Karachigate (dont nous vous parlions déjà hier) se rapproche chaque jour un peu plus pour Edouard Balladur, candidat à la présidentielle de 1995 et soupçonné d'avoir bénéficié de ces rétrocommissions illégales, et pour son ministre du Budget de l'époque, porte-parole durant sa campagne, Nicolas Sarkozy.
Le NouvelObs.com parle de "bombe Millon". Les autres sites d'info s'emportent moins, mais relayent néanmoins tous l'info, du Figaro.fr au Monde.fr, en passant par le JDD.fr ou 20minutes.fr.
Au passage, on peut aussi remarquer la différence de traitement de l'information entre l'AFP et Reuters. L'agence française se contente d'indiquer, prudemment : "L'ancien ministre de la Défense Charles Millon a confirmé devant le juge Renaud Van Ruymbeke l'existence de rétrocommissions versées jusqu'en 1995 en marge d'un contrat de vente au Pakistan de sous-marins français, a appris mercredi l'AFP de source proche du dossier." Les mots "corruption" et "Nicolas Sarkozy" ne sont pas mentionnés… contrairement à la dépêche de l'agence britannique, qui démarre par une phrase sans ambiguïté aucune : " La piste d'une affaire de corruption pendant la campagne présidentielle de 1995, susceptible d'impliquer Nicolas Sarkozy, a été confirmée par des auditions de justice, notamment celle d'un ex-ministre."
Mais prudents ou non, presque tous les journalistes oublient, ou ignorent, que l'information était déjà connue. Millon s'était déjà exprimé dans Paris Match en juin sur ce point, certes, comme le rappelle leJDD. Mais il avait surtout déjà révélé le fait que Jacques Chirac lui ait demandé de stopper le versement de commissions au Pakistan pour stopper toute rétrocommission, dans Le Contrat, le livre publié en mai (dans des circonstances agitées) des journalistes de Mediapart Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme.
Et si la plupart des journalistes ne l'ont pas repéré, ceux qui ont eu en main la retranscription de l'audition de Millon par Renaud Van Ruymbeke ne pouvaient pas l'ignorer : le juge s'est basé en bonne partie sur le livre pour mener son interrogatoire ! C'est ce qui apparaît à la lecture du PV, publié sur Mediapart (accès payant) et sur le NouvelObs.com. Six questions sur la trentaine, posées, mais qui nourissent la réflexion de Van Ruymbeke. Les voici :
"Y a-t-il eu des écoutes visant des collaborateurs de François Léotard (extrait du livre Le Contrat -cote D5- page 225) François Lépine, Patrick Molle et Pierre-Louis Dillais?
Selon un article du Monde du 9/07/1993, cité page 221 du livre Le Contrat, des écoutes auraient été effectuées sur le contingent de la DGSE placé sous l'autorité du Ministre de la Défense. Est-ce exact ?
Page 223 du livre, les auteurs écrivent que vous leur avez dit que ces surveillances visaient des collaborateurs menacés de mort, entre juillet et octobre 1995. Vous êtes cité en ces termes : "D'ailleurs quand Léotard l'a appris, il m'a appelé complètement paniqué, il pensait que nous avions découvert tous les secrets de Balladur sur les ventes d'armes" ?
Les services secrets ont-ils été chargés par le ministère de la Défense de tracer les mouvements de fonds issus des rétrocommissions comme vous l'avez indiqué en citant des pays aux auteurs du livre (page 225) ?
Vous avez indiqué aux auteurs du livre que des traces avaient été retrouvées dans des banques en Espagne, en Espagne, en Suisse à Malte et au Luxembourg. Le confirmez-vous ?
Vous avez également rapporté aux auteurs du livre page 214 la scène suivante lors de la passation des pouvoirs avec M. Léotard : ' J'étais persuadé que Léotard allait me parler des affaires réservées ou de la menace terroriste. Eh bien non, il me dit, très fébrile, qu'il faut absolument que j'aille en Arabie Saoudite pour mener à bien un contrat qu'il avait engagé sous Balladur. Je n'en revenais pas."? Le confirmez-vous ?"
L'une des critiques habituelles adressées au journalisme d'investigation à la française, et notamment celui pratiqué par les troupes d'Edwy Plenel, est de trop reposer sur la publication de procès-verbaux judiciaires. Cette fois, inversion des rôles, c'est le juge qui colle de très près au travail des journalistes. Et il faut d'ailleurs attendre qu'il s'en saisisse pour que la bombe médiatique, pourtant amorcée dès le mois de mai, explose. Il y a quelques semaines, Fabrice Lhomme parlait sur notre plateau de la "sacralisation" des PV de justice. On est en plein dedans.