Je n'ai pas de "proximité idéologique" avec Etienne Chouard

Judith Bernard - - 580 commentaires

Retour sur ma coupable naïveté

Télécharger la video

Télécharger la version audio

Après notre article du 29 novembre, qui la mettait en cause, Judith Bernard, directrice de la publication du site Hors Série, adossé à @si, nous a adressé cette mise au point, dans laquelle elle prend clairement ses distances avec Etienne Chouard, dont elle dénonce "l'alliance ostensible" avec Alain Soral.

Les engagements que j’ai pris dans un mouvement politique – le Mouvement pour la 6èmeRépublique, dont je suis signataire – m’ont exposée ces dernières semaines à des attaques ne relevant plus de la polémique idéologique (celle-là très légitime) mais se muant en amalgames calomnieux (ceux-là inacceptables) et m’amènent à clarifier de manière très explicite, et définitive, ma position.

Zone de contact

Un article publié par la rédaction d’@si me prête avec Chouard une "proximité idéologique" que je démens catégoriquement. Je suis certes une militante du tirage au sort, la chose est tout à fait publique, mais cette orientation politique ne saurait me constituer en "chouardienne", et par voie de conséquence, me valoir procès pour les graves errements dont Etienne Chouard se rend coupable, et que j’ai dénoncés – trop mollement, apparemment.

Il faut donc remettre de l’ordre (chronologique et théorique) dans cette pestilentielle polémique.

J’ai découvert cette option politique (le tirage au sort) à travers Jacques Rancière, dans La Haine de la démocratie (2005); j’ai peu à peu pris connaissance d’une partie de l’appareil théorique disponible à ce sujet (Yves Sintomer, David Van Reybouck, Bernard Manin…) qui m’a semblé de robuste facture et m’a confortée dans l’intuition de la pertinence de cette option que je défends au M6R.

Ce n’est qu’en 2012 que j’ai découvert le positionnement de Chouard, dans l’entretien qu’il a livré à Maja Neskovic pour @si. Le travail d’éducation populaire sur le processus constituant et les ateliers qu’il animait m’ont semblé porteurs de belles promesses démocratiques, et c’est la raison pour laquelle je l’ai interviewé en 2013 – en lui demandant déjà, entre autres, de s’expliquer sur le lien qui reliait son site avec celui d’Alain Soral, blogueur antisémite, homophobe, autoritariste et sexiste, trop influent pour n’être pas dangereux. J’ai eu la faiblesse, alors, de me contenter de ses mises au point – son approche humaniste du débat pluraliste, qui m’a semblé plausible à l’époque, mais que les événements récents font voir tout autrement. Je me suis montrée en la matière bien trop naïve.

Histoire d'une dislocation

La temporalité – des années pour lui faire enlever un lien (et avec quelles précautions!), quelques heures pour qu’il s’empresse de le remettre – indique des inclinations qui cadrent mal avec ses justifications: Chouard est bien assez connu désormais pour pouvoir être entendu sans passer par ce nauséabond mégaphone, et la revendication d’une pastorale transitant discrètement par toutes les voies se révèle être in fine le signe d’une alliance ostensible avec la position politique incarnée par le leader d’Egalité et Réconciliation – et ce, au moment où ce dernier entreprend de former un parti politique conçu pour la mise en œuvre d’un projet de pur despotisme.

Quelques heures après, suppression de tous les liens, énième rétropédalage: ce comportement erratique, révélant à tout le moins une grande confusion intellectuelle, et sans doute la prise de conscience de ce qu’a d’intenable son projet démocratique de"réconciliation" avec le moins démocrate d’entre tous, trahit surtout ce que je n’avais pas voulu voir: sa complaisance désormais manifeste, et parfaitement inexcusable, pour le "soralisme", que je tiens, moi, pour une idéologie délirante, à vocation fasciste, et extrêmement dangereuse. La part que l’antisémitisme y prend la rend tout entière abjecte, et l’on ne saurait combattre aux côtés d’un "allié" dont les objectifs sont si évidemment contraires à ceux dont on se réclame.

Complicité avérée avec des thèses délirantes

C’est la raison pour laquelle je conteste catégoriquement qu’on me prête quelque "proximité idéologique" que ce soit avec Etienne Chouard. Je fais d’ailleurs observer que je ne l’ai mentionné dans aucun des textes par lesquels je me suis exprimée dans le cadre de mon engagement politique. C’est parce qu’on m’a sommée de me situer par rapport à lui que j’ai été amenée à préciser quelle "zone de contact" je pouvais avoir avec sa position (la promotion du tirage au sort), et j’ai à chaque fois pris soin de me démarquer de ce que j’appelais alors – trop indulgente moi-même - sa «coupable indulgence» vis-à-vis de Soral, qui apparaît désormais comme une complicité avérée avec des thèses délirantes.

Je milite pour un processus constituant citoyen, pour une Constitution qui soit écrite par le peuple, pour le peuple, et un tel projet n’a pas besoin d’Etienne Chouard pour se construire – il a même besoin, désormais, d’être très clairement distingué de ses douteuses positions, car c’est salir la cause du processus constituant citoyen que de laisser croire qu’il aurait besoin des élucubrations de Soral pour prospérer.

Au moment où j’écris ces lignes, Etienne Chouard parle de se mettre en retrait, de ne plus occuper pour l’heure de position publique, de fermer blog, page, et site; et c’est une très bonne chose. Sa position politique s’est disloquée à ce point d’achoppement des demandes de clarification. C’est donc que cette position n’était soit pas assez réfléchie, soit pas complètement avouable. Cette retraite s’offrira comme l’heure d’un inventaire scrupuleux, de la réflexion solitaire, enfin, et pourquoi pas de l’écriture d’un livre dont beaucoup attendent qu’il revienne enfin au cœur du seul combat qui mérite d’être mené: le processus constituant instituant la souveraineté populaire – et faisant le plus vigoureux barrage aux tentatives de capture fasciste de cette souveraineté.

Lire sur arretsurimages.net.