Hanouna s'est-il normalisé ? On a regardé

Capucine Truong - - (In)visibilités - 44 commentaires

Et si on avait tout faux sur Hanouna? En décembre, la militante antiraciste Rokhaya Diallo a qualifié les critiques à l'encontre de Touche pas à mon poste, par un chroniqueur suisse, de "condensé de mépris de classe." Peut-on réhabiliter Hanouna? On a regardé la nouvelle formule de TPMP.

Dans un texte venu de Suisse, paru début juin 2016, dans la foulée du sketch homophobe sanctionné par le CSA, le chroniqueur télé du Temps Alain Campiotti, "vieux zappeur" autoproclamé, rhabillait l'émission phare de la chaîne Bolloré pour l'hiver : "Touche pas à mon poste est en permanence une entreprise obscène et rentable de décervelage." Il qualifiait l'émission de "dévergondage fangeux" et de "spectacle dégradant", notait les gags à base de pipi caca, et achevait le talk-show sans regrets : "l'unique sujet de l'émission de Baba et des siens, c'est eux-mêmes, leurs amis et leurs ennemis dans le cirque audiovisuel parisien."

Le texte, comme un soufflet, a été renvoyé au visage - ou plutôt à la page Twitter de la militante antiraciste Rokhaya Diallo, qui a rejoint l'émission comme chroniqueuse en septembre, par un internaute indigné par cette "fange télévisuelle". "Voilà pourquoi Rokhaya Diallo ne devrait pas rester là dedans", tweetait-il le mois dernier. Celle-ci, aussitôt, lui répondait sèchement : "Ce texte est un condensé de mépris de classe. Le regard condescendant des bourgeois sur la culture télévisuelle avec des touches de sexisme dans les désignations de type « la blonde »." Après tout... se serait-on trompés? Serait-on, chez Asi, de ces "bourgeois" au regard condescendant? Et serait-il temps, avec sa nouvelle formule, de regarder Hanouna, si possible avec un regard neuf?

Chez Hanouna, il y en a pour tout le monde

S'il y a en tout cas une vérité que suggère efficacement Rokhaya Diallo, elle est là : ceux qui écrivent dans les pages sérieuses de la presse ne sont pas ceux qui se marrent devant Hanouna. D'ailleurs, quand on écrit sur le sujet, il faut d'abord aller à confesse. "J'ai regardé une semaine de TPMP." [Slate] "On s'est forcés à regarder (beaucoup) de TPMP." [Le Monde] "Une semaine dans la fange télévisuelle" [Le Temps] Puisqu'il le faut, à nous aussi d'avouer : pour nous aussi, c'est récent. On avait déjà bloqué dessus certains soirs devant la télé. On s'était émus de la polémique du sketch homophobe, et on avait regardé, ici et là, pendant quelques temps. Cette fois, on s'est assis devant pendant deux semaines, sans s'arrêter.

Premier constat : chez Hanouna, il y en a pour tout le monde. Qu'on soit blanc, noir, en chaise roulante, on est là pour se faire vanner. Entend-on, ailleurs, un animateur saluer "la communauté gitane [qui] nous regarde beaucoup, je les salue tous, on se marre bien à chaque fois quand on se croise", après avoir visionné la vidéo d'un jeune gitan réinterprétant Une souris verte, avec brio. Voit-on souvent un prime time avec un invité anonyme en plateau, en fauteuil roulant, commenter  avec les chroniqueurs le refus par Un diner presque parfait d'accueillir un cuisinier paraplégique,  au motif que les appartements des chefs amateurs ne seraient pas aux normes.

Voit-on un autre animateur employer un mélange d'argot tunisien et d'arabe classique, au point d'en faire un nom d'émission, La Grande Rassrah, de forcer Téléstar et BFM People  à dresser un petit dictionnaire (qui se propose de traduire aussi bien "darka", "rassrah", "bsahtek" que le mot "kiffer"), et même La Dépêche de s'interroger, à propos du passage de Nicolas Dupont-Aignan sur TPMP : "darka ou rassrah" ?

Pour les incultes, "darka", c'est "rigolade", "rassrah", c'est plutôt le stress, l'angoisse. Des mots appris, disait Hanouna au Monde cet été, auprès de sa grand-mère qui vivait dans la maison familiale, aux Lilas. Un fils de médecin (récemment décoré de la légion d'honneur par le nouveau pouvoir), Hanouna, et pas un gars des cités, certes. Mais qui aura fait davantage, à la télé, pour donner un visage et une présence à la double culture de bien des Français d'aujourd'hui, à la grand-mère, la mère, ou les deux parents maghrébins ?

"Juif, musulman, l'important c'est que tu me fasses marrer"

Hanouna le confiait à Davet et Lhomme, dans le même portrait : "Juif, musulman, l'important c'est que tu me fasses marrer pour être mon copain." Les deux journalistes du Monde faisaient aussi un constat marquant : "Il est adulé dans les prisons de France, respecté dans les cités, révéré dans les cours d'école. Et méprisé partout ailleurs."

Quand Ali Madini, le sauveteur de la policière lynchée à Champigny, était reçu sur le plateau de Pascal Praud, sur Cnews pour raconter son exploit, une journaliste de Paris Match se tournait vers lui : "Est-ce que vous vous sentez bien en France, Ali?" Cette question, jamais personne ne la posera sur TPMP. Celui qui oserait se ferait tout de suite rembarrer d'une vanne. La couleur des invités, des chroniqueurs, ou le pays de naissance de leurs parents, de leurs grands-parents, n'intéresse pas des gens qui sont là pour se vanner et raconter le dernier truc sympa qu'ils ont vu à la télé.

D'ailleurs, Hanouna l'a dit haut et fort cette semaine, qui s'est retrouvé, à nouveau, sur le banc des accusés.  Walid Al Hussein, écrivain palestinien, "ex-musulman" athée l'a épinglé dans un tweet, assorti d'une capture d'écran d'un instant de TPMP avec une jeune femme portant le voile : "Les tentatives de la banalisation du voile dans l’espace public passe également par les médias ! Le voile n’a rien de banale (sic) , c’est un symbole de l’islamisation de notre société et nous devons dénoncer ces dangereux animateurs sans valeurs @Cyrilhanouna #@C8TV".

Bernard de la Villardière, le patron d'Enquête Exclusive, a paru approuver l'accusation, en retweetant l'écrivain. Hanouna, pour qui tout est spectacle, a tweeté immédiatement en réponse : "On va répondre à Bernard!" Sous entendu : dans le prochain prime. "Dans mes émissions il y aura toujours de la place pour tout le monde. Je ne vous jugerais (sic) jamais et je vous aimerais (sic) toujours tels que vous êtes." 5400 likes, 970 retweets et 600 réponses. Un carton, même pour Hanouna.

Et le lendemain, dans l'émission, après avoir cuisiné Karine Le Marchand sur sa dernière saison de L'amour est dans le pré, sans transition presque avant les gags de l'humoriste Camille Combal, Hanouna a affiché le tweet de Walid al-Hussein, et tranché : "Nous on accueille tout le monde. On est un espace de liberté et quand on le sera plus on arrêtera cette émission." Sur le plateau, la chroniqueuse Géraldine Maillet a renchéri : "Oui, c'est vrai! D'ailleurs ici on fête Noël, avec des gens qui sont dans le public et qui sont de toutes les religions." Réaction d'Hanouna : "Exactement, on va faire le ramadan kippour, pessah, toutes les fêtes, on travaillera plus dans cette émission!" Une blague, et le sujet est clos. D'ailleurs, on n'a pas entendu une seule fois, en deux semaines d'émission de blague à connotation raciste.

C'est peut-être pour cela, aussi, qu'il plait tant à ces jeunes. Peut-être pour ça aussi - pour son show hystérique où la seule polémique est celle du "culotte gate" d'Agathe Auproux et de la Dj Kelly (a-t-on bien aperçu leur culotte lorsqu'elles dansaient avec un autre chroniqueur, ou était-ce un justaucorps?)- qu'une certaine intelligentsia a tant de facilités à le disqualifier. Laurent Tello, du Monde, n'écrivait-il pas avec ironie au sujet de l'arrivée de Rokhaya Diallo sur le plateau : "Les débats de société seront-ils aussi intellectuellement stimulants sur le plateau de Cyril Hanouna avec celle qui se définit comme une « féministe intersectionnelle et décoloniale » au risque d’être accusée par certains de communautarisme ?" Et si, l'intérêt de l'émission, c'était précisément l'absence de débat sur le communautarisme?

Taxé d'homophobie, Hanouna a digéré la censure

Reste les blagues homophobes. Cœur du procès fait à Hanouna, depuis le sketch homophobe qui lui a valu une lourde condamnation du CSA - et l'opprobre (justifiée) quasi générale. Il a assuré qu'il allait changer sa formule, mettre davantage de contenu -tout en se défendant, toujours, d'avoir voulu cibler une minorité vulnérable. Et bien, force est de constater qu'Hanouna a compris  - et digéré - la leçon : quand il s'agit de Mathieu Delormeau, seul chroniqueur gay du plateau (outé en direct sur TPMP, dans un gag qui frôlait l'humiliation), pas de blague. Lorsque Delormeau réagit à une séquence d'Agathe Auproux coincée dans une cabine avec un serpent dans Fort Boyard, Hanouna fait mine de commencer une blague : un "serpent devant la bouche", pour Delormeau...puis s'arrête net. "C'est bon on s'arrête là, oh!", devant une assistance hilare.

Tout le monde comprend la blague, mais il ne l'a pas faite. La censure elle-même est mise en scène, et de cette manière, tournée en ridicule. Lorsqu'on entend à longueur d'émission des vannes sur l'âge d'Isabelle Morini-Bosc, Delormeau finit par apparaître injustement protégé. C'est là, d'ailleurs, le revers de cette censure-spectacle : elle fait apparaître Delormeau comme un privilégié, le seul à qui on aurait pas le droit de toucher. Delormeau qui, il ne faut pas l'oublier, est le premier auteur de blagues et sous-entendus sur ses pratiques sexuelles : quand Hanouna relève que Delormeau est le deuxième animateur le plus suivi sur Twitter, le chroniqueur répond : "ça me va tant que je suis derrière vous..." d'une voix mielleuse- Tant que ça reste sur les réseaux sociaux..." relance Hanouna. Et on passe vite à autre chose. 

Hanouna modère même désormais les blagues les plus lourdes, à base de pipi caca, zizi et compagnie. Il a confié le rôle du gros lourdaud vicelard à Jean-Michel Maire, qui s'en acquitte à merveille. C'est de l'humour gras, de l'humour qui colle, le repos du cerveau après une journée de travail (ou plus vraisemblablement d'école). Et en même temps, on rit. Celui qui ne rit pas (ou au moins, n'a pas un sourire, même juste un demi) quand Hanouna propose à l'humoriste Melha Bedia, "je te dis un nom de livre et tu me trouves l'auteur", et lance juste après, "attends, faut déjà que je trouve un nom de livre...", je l'affirme, est un pédant invétéré. Et les sketchs bêtes et pas méchants de Camille Combal font un mélange entre la culture web de la vidéo virale et les bons vieux filons des caméras cachées.

Le Nouveau hanouna : Des gossips, des ragots, et des gags

Finalement, on aurait tort de croire ou d'affirmer que l'humour du nouveau TPMP, ou son contenu, n'est basé que sur l'humiliation d'autrui. Ce n'est même pas ça. Une fois qu'on a passé en revue le dernier échange de texto énervés entre Hanouna et une figure du PAF, joué aux devinettes sur l'actu des médias, et commenté les audiences, qu'est ce qui occupe vraiment TPMP, qu'est ce qui remplit les deux heures de prime? Rien d'autre que des gossips, des gossips de loge télé sur qui va avoir quel plateau, et qui serait prêt à aller où pour combien d'argent. Des gossips de chambre d'ado, des choses qu'on voudrait secrètement savoir quand on est vautrés devant la télé (et qu'on tape d'habitude nonchalamment sur google : "karine le marchand compagnon" ; "hapsatou sy copain", ou dont on satisfait l'envie une fois l'an en achetant Public avant de monter dans le train vers la plage), est-ce que Karine Le Marchand a déjà eu le béguin pour un agriculteur, est-ce qu'Hapsatou Sy a déjà été critiquée pour son couple avec Vincent Cerruti, pour qui est-ce que Thierry Moreau a eu un crush.

Certes, ce sont des ragots qui, en principe, ne devraient intéresser que ceux dont ils sont le sujet : les chroniqueurs, et Hanouna lui-même. Mais si ça intéresse aussi 1,31 millions de Français (audience d'hier soir), pourquoi devrait-on les blâmer?

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