Des médias gobent le récit du protégé de Fourest, NLend "l'infiltré"

Paul Aveline - - 33 commentaires

Second volet de notre enquête sur un livre soutenu par Caroline Fourest

Thomas NLend raconte dans un livre avoir infiltré pendant trois ans le mouvement d'Alain Soral. L'homme, dont Caroline Fourest préface et promeut l'ouvrage, fait le tour des plateaux. Les journalistes n'y questionnent ni son "infiltration" dont doutent plusieurs journalistes couvrant l'extrême droite, ni son implication dans deux autres dossiers : les affaires Tron et Takieddine. "Arrêt sur images" a eu accès à des documents judiciaires qui permettent de retracer le parcours sinueux de NLend.

"Est-ce que tout est vrai ?", demande Thomas Snegaroff à Thomas NLend sur le plateau de C Politique, le 16 janvier dernier. Réponse de l'intéressé, sans détours : "Oui, tout est absolument vrai." NLend, scénariste, est invité en compagnie de Caroline Fourest pour présenter le livre dont la journaliste signe la préface (Les bouffons de la haine, Grasset, 2022) et dont nous racontons, dans le premier volet de cette enquête pourquoi et comment il secoue la rédaction de Marianne. À aucun moment dans l'émission, pas plus que face à la caméra de Konbinisur le plateau d'Europe 1 ou au micro de RMC, Thomas NLend n'est questionné sur les incohérences que comporte son livre. Dans les récits télévisés qu'il fait de son temps passé chez Soral, Thomas NLend reste toujours vague. 

Comment a-t-il infiltré Égalité & Réconciliation (E&R), et pour le compte de qui ? Sur le plateau de France 5, Caroline Fourest explique que l'opération est menée dans "une zone grise", que Thomas NLend est "l'indic d'un indic". Ce qu'elle n'explique pas, c'est que c'est Noël Dubus, faux flic mais vrai escroc, qui, selon le récit de NLend, propose à ce dernier d'infiltrer E&R. Le même Noël Dubus qui a trompé Marianne en se faisant passer, sous l'identité de "Monsieur Antoine", pour un ex-agent du Service interministériel d'assistance technique (SIAT) afin de rendre crédible le récit de NLend (voir le premier volet de cette enquête). Noël Dubus dont Marianne, Mediapart ou encore le Parisien ont depuis raconté l'implication dans plusieurs opérations politico-financières sur lesquelles la justice enquête.

2011, l'affaire Tron

Dans son livre, Thomas NLend raconte qu'il n'a appris la véritable identité de "Monsieur Antoine", Noël Dubus donc, qu'en 2020. Il explique qu'il compte médiatiser son récit et que "Monsieur Antoine" est le seul à pouvoir attester qu'il était vraiment infiltré chez Soral. Il reprend donc contact avec lui : "Pour la première fois […], il me raconte un peu sa vie, qu'il s'appelle en réalité Noël Dubus." En fait, ils se connaissent depuis 2011, ainsi qu'en témoigne le dossier d'instruction d'une affaire dans laquelle les deux hommes ont joué un rôle prépondérant, dossier auquel Arrêt sur Images a eu accès. 

Mai 2011, présidence Sarkozy. Georges Tron, alors maire de Draveil (91) et secrétaire d'État chargé de la Fonction publique, est accusé par deux anciennes collaboratrices de viols et d'agressions sexuelles. L'une d'elles, Éva Loubrieux, se trouve être l'ancienne voisine de palier de Thomas NLend. Ils se connaissent bien, prennent régulièrement l'apéro ensemble. Selon son récit, Thomas NLend est persuadé qu'Éva Loubrieux ment… pour le compte du Front national, et qu'elle accuse à tort Georges Tron pour obtenir une compensation financière. Il décide d'enregistrer Loubrieux à son insu pour qu'elle admette la machination. À l'époque, l'information pourrait faire l'effet d'une bombe, la défense de Georges Tron affirmant que le Front national est à la manœuvre pour le faire chuter. Or l'avocat des deux plaignantes est Gilbert Collard en personne, alors président du comité de soutien de Marine Le Pen. 

Thomas NLend, à la faveur d'un rendez-vous dans un café, enregistre bel et bien Éva Loubrieux. Dans l'enregistrement, que nous avons entendu, la plaignante ne révèle rien de compromettant et nie à plusieurs reprises tout liens avec le FN. NLend est pourtant persuadé de tenir un élément-clé. Mais qu'en faire ? C'est à ce moment-là qu'intervient "Monsieur Antoine", présenté selon NLend par un ami commun. Ensemble, ils vont tenter de vendre l'enregistrement à Georges Tron lui-même, en échange d'un service, comme le racontait à l'époque le Parisien. La manœuvre capote, et les deux hommes finissent par remettre la bande à la justice. NLend continue d'affirmer qu'à ce moment-là, il ne connaît pas la véritable identité de "Monsieur Antoine". Il explique : "À l'évidence, c'est un pseudonyme. […] Des années plus tard, je finirai par connaître le nom de Monsieur A." 

Nous nous sommes procurés les procès-verbaux des interrogatoires de Thomas NLend devant la brigade criminelle de Versailles. Il apparaît que dès 2011, contrairement à ce qu'il affirme dans son livre à deux reprises, Thomas NLend connaît la vraie identité de Noël Dubus, alias "Monsieur Antoine". Face aux policiers, qui présentent Dubus sous son vrai nom, il explique qu'il le "considère comme un ami" et affirme le connaître "depuis au moins dix ans". Dans le même fauteuil, Noël Dubus confirmera les dires de son compère avant de se rétracter, expliquant qu'ils ne se connaissent en réalité que depuis quelques mois. NLend change ensuite de version. Interrogé une deuxième fois, il explique qu'il a rencontré Dubus "début juin 2011"

Impossible de démêler le vrai du faux, comme le confirme une source proche du dossier à l'époque : "Ils ne cessaient de changer de version, c'était très difficile de comprendre ce qui se jouait vraiment entre eux." Seule certitude : Thomas NLend connaît le vrai nom de "Monsieur Antoine". Pourquoi raconter le contraire dans son livre ? Interrogé par ASI, Thomas NLend reconnaît une erreur. "Je connaissais Noël Dubus dès l'affaire Tron (en 2011, ndlr), c'est vrai", explique le scénariste. Pourquoi cette approximation ? Thomas NLend l'explique par une volonté de donner à son récit une "dimension scénaristique", pour le rendre "plus intéressant."

La rocambolesque affaire Takieddine

Noël Dubus est aussi au centre de nombreuses révélations de Mediapart. Selon le journal d'investigation, il est au cœur de l'opération visant à faire libérer Hannibal Kadhafi, fils du dictateur libyen tué en 2011 , pour que ce dernier dédouane Nicolas Sarkozy dans le dossier du financement de la campagne présidentielle de 2007. Noël Dubus est également mis en examen pour "subornation de témoin", soupçonné d'avoir orchestré le revirement de Ziad Takieddine, qui avait publiquement accusé Nicolas Sarkozy d'avoir financé sa campagne présidentielle avec l'argent du régime Khadafi avant de se rétracter. Un dossier dans lequel Thomas NLend est lui aussi mis en examen depuis le 20 octobre 2021 pour complicité de subornation de témoin et association de malfaiteurs. Des faits qui se seraient déroulés dans le courant de l'année 2020, et dont NLend a témoigné dans l'émission Complément d'enquête, diffusée sur France 2 le 14 janvier. NLend et Dubus n'ont par ailleurs plus le droit d'entrer en contact.

Dans son livre, Thomas NLend explique ces ennuis judiciaires par un malheureux concours de circonstance : "À force de coller Noël Dubus pour m'assurer qu'il confirmera mon infiltration comme «Monsieur Antoine», je me retrouve mêlé à ses carambouilles. […] Ce qui me vaut d'être placé en garde en vue, le temps que les juges comprennent ce que je fiche dans les parages." Face aux caméras de France 2, il semble pourtant bien connaître le dossier, affirmant que Mimi Marchand espérait, en faisant se rétracter Takieddine, rendre service à Nicolas Sarkozy. Surtout, selon Mediapart, Thomas NLend était directement impliqué dans l'opération, comme en attestent des messages reçus de Noël Dubus, faisant de NLend l'intermédiaire entre diverses personnes impliquées dans le deal. Face à ASI, Thomas NLend refuse d'entrer dans les détails de l'affaire. Tout juste espère-t-il que sa mise en examen sera rapidement levée. 

Promoteur "de premier plan" de l'idéologie soralienne

Dans la préface du livre de Thomas NLend, Caroline Fourest écrit : "Les services se sont-ils contentés d'écouter d'une oreille les tuyaux rapportés par Noël Dubus (sur E&R via NLend, ndlr)ou les ont-ils souhaités ? Nous ne le saurons pas. Ces arrangements ne se racontent pas. Et ce n'est pas l'essentiel." C'est pourtant toute la question, qu'aucun média n'a posée à Thomas NLend. Quelles preuves a-t-il, à part la parole de Noël Dubus, escroc notoire, de son infiltration au sein d'E&R, et non d'une simple adhésion et participation au mouvement ? Joint par ASI, Mathieu Molard, coauteur d'un livre sur Alain Soral (Le système Soral, Calmann-Lévy, 2015) et rédacteur en chef de Streetpress, explique que Thomas NLend était l'une de ses sources au sein du mouvement soralien : "Il me donnait des infos qui se vérifiaient à chaque fois. En revanche, je ne crois pas qu'il ait été infiltré dès le départ. Est-ce que certaines de ses infos sont remontées aux services d'une manière ou d'une autre ? Sûrement." 

D'autres journalistes mettent également en doute cette version. "Tous les spécialistes le diront, personne ne croit une seconde à l'histoire de NLend. C'était un promoteur actif, de premier plan, de l'idéologie soralienne", s'agace un spécialiste de l'extrême droite. "Si c'était vraiment une infiltration, c'était extrêmement bien fait", se remémore un journaliste qui a couvert les manifestations violentes de l'été 2014 (voir le premier épisode de cette enquête). Le même : "Je me souviens d'un coup de fil très virulent avec lui. Si c'était un infiltré, c'était plus vrai que nature."

Une série d'incohérences

À la lecture du livre de Thomas NLend apparaît une série d'incohérences. Il explique qu'après l'affaire Tron, Noël Dubus, qu'il a selon ses propres déclarations rencontré en juin 2011, lui propose d'infiltrer le mouvement d'Alain Soral en échange d'argent. Encore une fois, la chronologie interpelle. En effet, Thomas NLend explique dans son livre que sa décision d'infiltrer le mouvement de Soral intervient "quelques mois avant l'attentat commis par Mohamed Merah" en mars 2012. Quelques lignes plus loin, il explique avoir "avalé des kilomètres de propagande soralienne" au moment où Alain Soral "annonce le lancement d'une maison d'édition : Kontre Kulture." 

Problème : Kontre Kulture a été fondée et lancée en mars 2011, soit quelques mois avant même la prétendue rencontre entre NLend et Dubus, et donc le début de tout projet d'infiltration au sein d'E&R. Quelle version est la bonne ? Thomas NLend reconnaît une "incohérence" mais "pas un mensonge" et affirme avoir écrit son livre "de mémoire", ce qui explique selon lui que les dates soient parfois approximatives. Il en commet d'ailleurs une autre lors de notre entretien, expliquant qu'en réalité, le début de son travail d'infiltration se situe au moment de la sortie du pamphlet d'Alain Soral, Comprendre l'empire (Éditions Blanche, 2011). Un livre sorti en février 2011, encore une fois bien avant tout projet d'infiltration, donc. 

Malgré ces incohérences, Thomas NLend continue d'affirmer avec force la réalité de son infiltration, même s'il admet n'avoir aucune autre preuve que le témoignage de Noël Dubus. "Je mène une guerre violente contre Soral depuis six ans, affirme NLend auprès d'ASI. Je suis entré dans cette organisation par appât du gain, une motivation teintée de ma fibre anti-Front national." Il affirme d'ailleurs avoir rencontré un officier du SIAT lors de la préparation de son livre. Un officier que Caroline Fourest aurait rencontré aussi, et qui aurait confirmé les dires de NLend. Un officier dont, à l'heure où nous publions ces lignes, Thomas NLend n'a pas été en mesure de fournir le nom, et dont le témoignage n'apparaît nulle part dans le livre que publient le scénariste et la journaliste, qui n'a, de son côté, pas donné suite à nos sollicitations.

Caroline Fourest répond sur son blog

Ayant choisi de ne pas répondre à ASI, Caroline Fourest s'est finalement exprimée dans un billet de blog publié le 22 janvier. Confirmant les informations révélées dans le premier volet de cette enquête, la journaliste reconnaît avoir tenté d'influencer la rédaction de Marianne, qui s'apprêtait à publier une enquête sur Thomas NLend : "Arrêt sur images me reproche désormais d'avoir voulu rétablir la vérité sur Thomas dans Marianne où j'écris ! […] N'est-ce pas un peu gros – et visible – de reprocher à une journaliste de défendre la vérité et la complexité ?" Dont acte. Concernant le profil de NLend, Caroline Fourest avance plusieurs arguments. Le premier repose toujours sur la parole de Noël Dubus ("Comment croire que le fameux Noël Dubus n'ait pas joué de rôle dans cette infiltration, alors que c'est sa spécialité, qu'il me l'a confirmé ?") dont même NLend, lors de notre long entretien, reconnaissait qu'elle ne pouvait être prise pour argent comptant. 

Caroline Fourest nous reproche ensuite de ne pas avoir donné la parole aux soutiens de NLend, dont Simone Benzaquen, qui dirige l'American jewish society. Nous avons en effet parlé à Simone Benzaquen, qui nous a confirmé que NLend était un ami, et qu'elle croyait sa version des faits… avant de nous demander, par texto, de ne pas la citer dans cette affaire. Caroline Fourest s'appuie également sur le témoignage de Jo Dalton, ami de NLend, et qui aurait participé à l'infiltration. Jo Dalton se racontait en 2014 dans un long portrait du Monde. Il y décrivait sa fascination première pour Dieudonné, et les services de protection qu'il lui fournissait gratuitement, jusqu'à sa rupture avec les idées de l'ancien humoriste. Le tout mêlé à une histoire d'argent : "La rupture se consomme quand Jo Dalton demande soudain à être payé pour ses services de protection épisodiques." Dans ce portrait, ni Jo Dalton, ni le Monde ne font état d'une quelconque infiltration du premier dans l'entourage de Soral.

Enfin, Caroline Fourest se lance dans une longue attaque contre la rédaction d'ASI, "officine idéologique" dont les journalistes sont des "commissaires politiques aux petits pieds"ASI maintient l'ensemble des informations publiées dans ces deux volets. 

Dans un second billet de blog publié le 27 janvier 2022, Caroline Fourest annonce se retirer du conseil de surveillance du groupe CMI, propriétaire de Marianne. Une décision finalement entérinéee par le groupe CMI dans un procès-verbal du 10 février 2022, et que nous nous sommes procurés. La journaliste affirme également se "réserver le droit de porter plainte" contre Gabriel Libert, en réparation du "préjudice subi" par toute l'affaire. 

Malgré nos nombreuses tentatives, nous n'avons pu joindre Noël Dubus. 

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