Avisa partners sous le feu de nouvelles enquêtes

Paul Aveline - - Intox & infaux - Investigations - Déontologie - Coups de com' - 5 commentaires

Les communicants d'Avisa partners n'en ont pas fini avec leur mauvaise réputation. De nouvelles enquêtes de "Libération" et "Jeune Afrique", entre autres, jettent à nouveau la lumière sur la firme, déjà à l'origine de procédures contre "Arrêt sur images", "Mediapart" et "Reflets".

Les semaines se suivent et se ressemblent pour Avisa partners. L'entreprise de communication, déjà en procédure judiciaire contre ASI, Mediapart, NextInpact et Reflets, doit faire face à de nouvelles révélations sur ses méthodes pour le moins douteuses. En juillet dernier, suite à un article de Fakir, nous avions approfondi les révélations sur la manière dont Avisa partners servait ses clients en publiant dans des médias on ne peut plus sérieux (Jeune Afrique, la Tribune, les Échos) des tribunes écrites parfois… par des rédacteurs fantômes. Le but ? Influencer le débat public sur des questions aussi sensibles que le changement climatique, le nucléaire ou la taxe carbone. 

Aux côtés d'ASI, Mediapart, Reflets, NextInpact ou Marianne avaient eux aussi sonné la charge contre ces manipulations. Ce qui a entraîné des conséquences politiques. La France insoumise a réclamé, en novembre 2022, l'ouverture d'une commission d'enquête sur les activités d'Avisa – restée lettre morte à ce stade –, jugeant que ses activités s'apparentaient à une "manipulation de l'information au service des lobbies". En décembre, ce sont les activités d'Avisa partners à l'étranger qui font jaser. Le magazine Jeune Afrique, lui-même victime des enfumages d'Avisa, publie ainsi une longue enquête sur "le lucratif business d'Avisa partners en Afrique".

Avisa au congo

Les liens d'Avisa avec la présidence ivoirienne étaient déjà connus, Avisa ayant notamment signé un contrat avec la première dame du pays, Dominique Ouattara, dont nous avions relevé la forte présence sur des sites internet proches d'Avisa ou directement contrôlés par l'entreprise. Selon Jeune Afrique, c'est sur le Congo qu'Avisa aurait désormais jeté son dévolu, y décrochant "le jackpot". Et Jeune Afrique de raconter comment, en 2015, le président sortant (qui n'a normalement pas le droit de briguer un troisième mandat) Denis Sassou Nguesso fait appel à Avisa pour "promouvoir le référendum" dont il a eu l'idée. 

Le but pour Denis Sassou Nguesso ? Contourner les verrous institutionnels et s'octroyer un troisième mandat par la voie d'un plébiscite. L'opération fonctionne, Sassou Nguesso est réélu en 2016 non sans avoir confié, pour 6 millions d'euros, l'organisation de certains de ses meetings de campagne à Avisa. Une manne pour l'entreprise, dont Jeune Afrique affirme que jusqu'alors, le chiffre d'affaires dans le pays ne dépassait pas les 8 millions d'euros. Au Tchad, c'est pour "évaluer les risques d'une attaque russe sur les réseaux d'informations du pays" qu'Avisa aurait été engagée par le gouvernement. Et si Jeune Afrique révèle qu'une importante équipe a été mobilisée pour mener à bien la mission, l'entreprise, de son côté, assure que la mission est restée lettre morte, et n'a entraîné aucune rémunération.

Était-ce alors une simple prise de contact ? Mediapart avait déjà révélé comment, selon des documents internes à Avisa, l'entreprise avait accédé aux réseaux téléphoniques tchadiens afin d'accéder à des informations sensibles concernant les opposants au régime tchadien. Des accusations qu'Avisa continue de nier dans l'enquête de Jeune Afrique, évoquant, à propos de la mission sur l'influence russe, des "travaux initiés par Avisa partners" qui  "serviront de base à une contribution académique qui sera prochainement publiée". Les Échos en ont d'ailleurs publié une recension le 16 décembre (voir plus bas). Ces activités aux frontières du légal mettent en tout cas en alerte les services de renseignement français. Selon Jeune Afrique, Paris a soupçonné Avisa partners d'être en contact avec Evgueni Prigojine, patron des mercenaires russes du groupe Wagner. Des contacts que, là encore, Avisa nie fermement. Jeune Afrique révèle également qu'Avisa est désormais incontournable dans d'autres pays d'Afrique, comme la Mauritanie ou le Mali, créant, là encore, de vives inquiétudes chez les services de renseignement français.

Tout le monde aime le Qatar

Mais l'Afrique n'est pas le seul terrain d'opérations d'Avisa. Selon Libération, un autre État s'est adjoint les services de l'entreprise spécialisée dans la communication : le Qatar. Retour en 2017. Le Qatar est encerclé dans sa propre région. L'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis mettent en place un blocus diplomatique contre l'émirat. Acculée, Doha a besoin de soutien en Occident, et se tourne alors vers la France pour en faire la base d'une vaste opération d'e-réputation. Le Qatar signe alors, pour la modique somme de 2,3 millions d'euros, un contrat avec ESL & network, puissante société d'influence basée à Paris. Le but, selon le contrat révélé par Libé : "Atteindre les principaux dirigeants et les principales institutions […], intercéder auprès des principaux décideurs pour souligner le caractère contre-productif de la campagne contre le Qatar (dans le cadre du blocus), […] cibler les fonctionnaires directement concernés par la crise, notamment les think tanks et les organisations non gouvernementales." 

Le deal signé, ESL & network s'offre les services d'Avisa partners (qui s'appelle à l'époque Demeter), comme "sous-traitant technique". Qu'a exactement fait Demeter/Avisa dans le cadre de son contrat ? Libé ne le détaille pas, mais révèle ce que l'entreprise a refusé d'exécuter. En pleine opération de communication pour redorer le blason du président du PSG Nasser al-Khelaïfi, l'idée germe de former une "ferme à trolls" sur les réseaux sociaux. En clair : des comptes tous pilotés par le PSG pour dézinguer ses adversaires en ligne. Ses cibles privilégiées : Mediapart (qui a révélé l'existence de cette opération), des journalistes, et même… Kylian Mbappé en personne. Selon Libération, Demeter/Avisa aurait refusé de mener l'opération pour des raisons d'organisation et d'argent.

Avisa veut redorer son blason

Avisa, dont l'image a été sévèrement écornée par les enquêtes qui nous valent aujourd'hui une procédure en diffamation, souhaite se refaire une réputation. Selon la Lettre A, l'entreprise DGM Conseil aurait approché dernièrement des pointures de l'e-réputation. Or, Avisa vient justement de racheter DGM. Sont ainsi cités Guillaume Didier, ancien magistrat et porte-parole du ministère de la Justice, Charles-Étienne Lebatard, ancien de chez Airbus et Total énergies, mais aussi… un journaliste. Pascal Pogam, directeur adjoint de la rédaction de l'Express, passé par les Échos. Les Échos qui avaient été enfumés par Avisa, la boucle est bouclée. Avisa s'étend aussi, comme le révèle l'Informé(nouveau média économique dont nous racontions la naissance). Son patron, Matthieu Creux, affiche ses ambitions de faire d'Avisa "un grand groupe européen de taille mondiale, sous pavillon français". Avisa a ainsi racheté récemment le cabinet américain Forward risk and intelligence LLC et termine donc son acquisition de DGM. 

Les médias de Bernard Arnault, toujours fans d'Avisa

En France, la réputation d'Avisa bénéficie toujours de l'appui de certains médias, qui font de l'entreprise d'intelligence économique, et malgré les enquêtes d'autres médias, une source fiable d'expertise pour leurs articles. À l'image du Parisien, qui cite régulièrement Avisa sur des affaires liées à la cybersécurité, comme ici à propos de hackers canadiens. Le même Parisien qui n'a jamais évoqué les nombreuses enquêtes sur les pratiques d'Avisa Partners, pas plus que les procès intentés par la firme à plusieurs médias indépendants. Il faut dire que le propriétaire du journal, Bernard Arnault, a eu lui-même recours aux services d'Avisa pour protéger sa réputation en ligne, comme le révélait Mediapart. Sans grande surprise, Avisa jouit de la même mansuétude de la part des Échos, également propriété d'Arnault, qui donnent eux aussi la parole à Avisa pour son expertise sur l'ingérence russe en Afrique. À aucun moment les Échos ne rappellent les contours de cette expertise (voir plus haut), ni ne questionnent la neutralité d'Avisa dans l'affaire. À aucun moment non plus, ils ne citent l'enquête de Jeune Afrique sur le sujet. Avisa Partners a donc encore quelques amis dans les médias français.


Lire sur arretsurimages.net.