Pseudo-compte aux Bahamas de Macron : propagation d'une intox
Juliette Gramaglia - - Intox & infaux - 0 commentairesDu forum 4chan au débat présidentiel. Mercredi soir, Marine Le Pen, lors du débat télévisé, a laissé entendre qu'Emmanuel Macron détenait un compte offshore aux Bahamas. Elle a ainsi relayé une rumeur, née sur le forum d'images américain 4chan en fin de journée, puis propagée sur plusieurs sites et par Twitter, et qui s'appuie sur des documents à la fiabilité plus que douteuse. La candidate du FN a admis jeudi ne pas avoir de preuves pour étayer son accusation.
C'était la dernière intox du débat de l'entre-deux-tours. Mercredi 3 mai, Marine Le Pen a conclu l'un de ses (nombreux) échanges tendus avec Emmanuel Macron par cette pique : "J'espère qu'on n'apprendra rien dans les quelques jours et quelques semaines […] J'espère qu'on n'apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas". L'attaque faisait suite à une discussion sur les affaires visant le FN. Macron venait d'évoquer l'enquête sur les emplois fictifs présumés d'assistants parlementaires européens du FN. Face à l'attaque de la candidate d'extrême droite, son adversaire l'a accusée de verser dans la "diffamation".
Article du Parisien, 4 mai 2017
D'où vient cette accusation de compte offshore ? D'une rumeur, lancée mercredi en fin de journée en anglais dans la section "pol" (pour "politiquement incorrect") du forum d'images américain 4chan. Comme l'expliquent plusieurs médias français ce jeudi, parmi lesquels le Huffingont Post et Le Parisien, "l'information" est apparue aux alentours de 19 heures : Macron posséderait une société écran à Niévès, un paradis fiscal, et cette société serait liée à une banque pratiquant l'évasion fiscale dans les Îles Caïman. Le message est accompagné de plusieurs photos de documents qui prouveraient l'existence de cette prétendue société offshore. L'utilisateur anonyme enjoint les internautes à partager l'histoire avec le mot-clé "#MacronCacheCash".
Rapidement, sur 4chan, plusieurs internautes dénoncent cependant un montage photo grossier sur les documents. Comme le raconte notamment Marie Turcan, de Business Insider, qui explique : "Si on zoome sur différentes parties d'un des deux documents, on voit ainsi que certains mots et numéros de téléphone n'ont pas la même police, taille et lisibilité que d'autres éléments du document".
Zoom sur un des documents de 4chan, par Marie Turcan
Autre indice de falsification : La Providence, la prétendue société offshore, qui porte le même nom que le lycée où Macron et son épouse, à l'époque sa professeure, se sont rencontrés. Cette prétendue société a une dénomination différente selon les documents : sur l'un, il s'agit de "La Providence LLC", sur l'autre de "La Providence Ltd". Et enfin, la signature présentée comme celle de Macron dans les "preuves" ne ressemble pas à celle que l'on peut consulter sur sa déclaration d'intérêt et de patrimoine.
Signature d'Emmanuel Macron sur les documents publiés dans 4chan
Signature du Macron dans sa déclaration de situation patrimonialeà la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP)
De comptes TWITTER pro-Trump au Discord pro-FN
Mais toutes ces incohérences n'ont pas empêché, comme souvent, la fausse info de se propager. Très vite, l'intox est relayée sur le site US complotiste Desobedientmedia par William Craddick, qui avait notamment propagé la rumeur infondée qui prétendait qu'une pizzeria new-yorkaise était au centre d'un vaste réseau de pédophilie lié à Hillary Clinton. L'article sur Macron est partagé plusieurs milliers de fois sur Twitter, d'abord en anglais, notamment par un compte américain pro-Trump très suivi, Jack Posobiec. Puis en français, grâce entre autres au compte "Gare au Gorille".
D'après Nicolas Vanderbiest, chercheur belge auteur de plusieurs études sur la propagation de l'information en ligne, de nombreux comptes ayant relayé l'intox font partie des "comptes les plus influents dans la propagande russe (RT/Sputnik) identifiés dans [son] étude" sur l'influence russe dans la campagne présidentielle française. C'est-à-dire qu'il s'agit de comptes diffusant très activement les articles de RT et Sputnik, les deux médias pro-russes bien connus des asinautes. Le mot-clé "#MacronGate", utilisé pour partager l'intox, connaît un pic d'utilisation massif aux alentours de minuit mercredi, toujours d'après Vanderbiest.
Pic d'utilisation du mot-clé "Macrongate" sur Twitter
Une fois que la rumeur a atteint la France, elle se propage sur le forum 18-25 de jeuxvideo.com, mais aussi sur le forum Discord pro-FN "La Taverne des patriotes". Le message qui y circule est clair : il faut rendre l'histoire virale. Même si, et certains militants de Le Pen en sont conscients, les documents avancés comme "preuves" n'ont rien de vrai. "Bien sûr que c'est fake news et alors ? La cible c'est pas Macron c'est les gens qui lui font confiance", poste par exemple un utilisateur de la "Taverne des Patriotes", repéré par le Huffington Post. Quelques heures après son apparition, l'intox connaît une popularité record grâce à la candidate du FN elle-même, qui l'évoquera sur le plateau du débat.
Jeudi matin, interrogée par Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, Le Pen a admis qu'elle "n'avait pas de preuve" pour étayer son attaque de la veille, tandis que le vice-président du FN Louis Aliot se référait à "deux sites américains" qui ont diffusé l'histoire. Macron, lui, a annoncé dans la journée de jeudi qu'il portait plainte contre X pour "propagation de fausse nouvelle destinée à avoir une influence sur le scrutin" et pour "faux et usage de faux". Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire.