Canal+ : résultats "noircis" par Bolloré ?

Anne-Sophie Jacques - - Financement des medias - 0 commentaires

Bolloré noircit-il les résultats de Canal+ dans l’espoir de décrocher la distribution exclusive de BeIN Sports ? Alors que l’autorité de la concurrence doit se prononcer cette semaine sur cette alliance tant espérée par le patron de la chaîne cryptée, de nombreuses voix – dont celle du journaliste de BFM Business Jamal Henni – assurent que les soi-disant pertes de Canal+ annoncées par le groupe ne sont pas crédibles.

264 millions de déficit en 2015, 408 millions prévus cette année, 475 millions d’ici 2017… à en croire Vivendi et son président Vincent Bolloré, Canal+ est au bord du gouffre. La première mauvaise nouvelle a été annoncée le 18 février par le patron en personne, la deuxième le 21 avril à l’occasion de l’assemblée générale des actionnaires du groupe et la troisième mercredi dernier devant les députés lors d’une audition surréaliste du directeur général Maxime Saada, comme nous le racontions ici. Des chiffres tellement mauvais que, devant les actionnaires, Bolloré a brandi la menace d’une disparition de la chaîne cryptée.

Mais ces chiffres alarmants n’ont pas convaincu tout le monde, à commencer par le journaliste de BFM Business Jamal Henni qui, dès février, soulignait une incohérence. A l’appui : l’analyse de financiers qui se sont penchés sur les comptes du groupe côté en bourse. Selon l’un d’eux, "il est très difficile de comprendre comment les chaînes Canal+ ont perdu 264 millions d'euros en 2015" alors que les années précédentes, aucune annonce de pertes n’avait été faite. Plus surprenant encore selon Henni : "le Groupe Canal+ dégage de plantureux bénéfices. En 2015, le bénéfice opérationnel ajusté est certes en recul de 22%, mais s'élève toujours à 454 millions d'euros. Explication : les autres activités du Groupe Canal+ (CanalSat, StudioCanal, l'international...) sont très rentables". En somme, alors qu’auparavant le groupe communiquait sur un chiffre global, Bolloré a choisi de dissocier la chaîne Canal+ des autres chaînes et activités du groupe.

Pour autant, Canal+ est-elle déficitaire comme l’assure Bolloré ? Là encore, Henni est sceptique. Dans un article publié la semaine dernière, le journaliste assure que l’examen des comptes de la Société d'Edition de Canal Plus fait "apparaître un bénéfice opérationnel ajusté (Ebita dans le jargon des comptables) de 100 millions d’euros, et un bénéfice d'exploitation de 64 millions d'euros..." Comment expliquer une telle différence ? Pour Henni, "ce n'est pas un problème de définition ou de périmètre. En effet, les chaînes Canal+ (dont parle Vivendi) ont réalisé un chiffre d'affaires de 1,74 milliard d'euros en 2015. De son côté, la Société d'édition de Canal+ (qui, comme son nom l'indique, édite la chaîne cryptée) affiche un chiffre d'affaires quasi-identique (1,8 milliard d'euros). C'est donc visiblement la manière de calculer le bénéfice qui diffère. Pour passer d'un bénéfice à une perte, Vivendi a apparemment imputé des coûts supplémentaires à la chaîne cryptée".

En clair : plutôt que de ventiler les coûts entre Canal+ et CanalSat comme il était d’usage, selon un ancien salarié du groupe interrogé par Henni, cette fois-ci toutes les charges auraient été supportées par Canal+. D’où le gros trou. Cela dit, cette explication reste une hypothèse : les comptes précis ne sont pas accessibles. C’est d’ailleurs une demande des élus du comité d’entreprise de Canal+ qui ont déclenché un droit d’alerte et exigé, entre autres, une explication sur les 400 millions de pertes prévues cette année.

L'autorité de la concurrence dispose des comptes précis

Reste ce mystère : pourquoi faire état d’une mauvaise santé de sa chaîne ? Rien de mystérieux pour Henni et pour l'un des analystes interrogé : "mettre en avant des pertes élevées présente l'avantage de mettre Vivendi dans une meilleure position vis-à-vis du gendarme de la concurrence dans l'examen de l'accord avec beIN Sports. Présenter des pertes massives fait partie du jeu pour convaincre les autorités compétentes d'autoriser l'accord avec beIN Sports." En effet, l’autorité de la concurrence doit se prononcer cette semaine sur l’accord de distribution exclusive entre BeIN Sports et Canal+. Bolloré, à l’occasion de sa sortie médiatique accordée aux Echos et à Challenges mi-mai évoquée sur @si, n’a pas oublié d’être alarmant : "Si on a le droit, nous emprunterons un petit chemin fleuri pour sortir de l’impasse, sinon, il nous faudra passer par la forêt des glaces". Un chemin fleuri qui coûtera tout de même à Canal+ entre 300 et 400 millions d'euros par an à en croire Les Echos du 5 juin dernier.

Ces menaces vont-elles attendrir l’autorité de la concurrence ? Ce n’est pas gagné, toujours selon le quotidien économique : "L'Autorité de la concurrence semble cependant estimer que la situation est moins noire pour Canal+ que ne le dit Vincent Bolloré. Avec CanalSat, le bouquet qui en est inséparable, les bénéfices sont toujours au rendez-vous. L'antitrust ne voit pas non plus l'émergence d'offres «low cost» dans le sport (Be IN) ou dans les séries et les films (Netflix) comme une menace mortelle pour Canal+ à court terme". Le chantage risque donc de faire un flop. D’autant que, comme le précise Henni interrogé par @si, l’autorité dispose, elle, des comptes précis de Canal+.

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