Hippodrome de Compiègne : non-lieu pour Eric Woerth
Anne-Sophie Jacques - - 0 commentairesComme on pouvait s’en douter, la Cour de Justice de la République a suivi les réquisitions de non-lieu rendues il y a deux mois par le ministère public en faveur d’Eric Woerth, député et maire UMP de Chantilly, témoin assisté dans l'affaire de la vente de l'hippodrome de Compiègne. La Cour a estimé ne pas avoir assez d’éléments pour poursuivre l’ancien ministre du Budget pour prise illégale d’intérêts. L’occasion pour les décodeurs du Monde de résumer les faits reprochés à l’élu, qui se dit soulagé ce matin au micro d’Europe 1 après avoir vécu "quatre ans d’enfer", mais l’occasion également pour Mediapart de railler "l'art d'enterrer les affaires à la Cour de justice de la République".
Affaire classée : simple témoin assisté et non mis en examen, Eric Woerth, alors ministre du Budget, était néanmoins soupçonné de prise illégale d’intérêts dans l’affaire de la vente de 57 hectares de la forêt de Compiègne, qui comprennent un golf et un hippodrome, au profit de la Société des courses de Compiègne (SCC) alors locataire des lieux. Comme nous le racontions ici, après quatre ans d’enquête sur cette affaire révélée par Le Canard enchaîné et par Marianne, le parquet général de la Cour de cassation dirigé par Jean-Claude Marin a pris en octobre des réquisitions de non-lieu, et la Cour de Justice de la République (CJR) les a donc suivies hier 11 décembre. Voici donc l’ancien ministre et actuel député et maire de Chantilly blanchi.
Mais de quoi était accusé Woerth ? se demandent les décodeurs du Monde. Les reproches ne manquaient pas : d’une part, le montant de la vente, conclue à 2,5 millions d'euros, semble largement sous-estimé. Par ailleurs, selon le syndicat majoritaire de l'Office national des forêts cité par Le Monde, "Eric Woerth n'avait pas le pouvoir en mars 2010 d'autoriser la vente à la place du Parlement et on ne pouvait se passer de mise en concurrence préalable". En effet, la vente s’est faite de gré-à-gré sans passer par un appel d’offres, une procédure légale mais controversée. De même, la rapidité de la vente est surprenante : "l'arrêté du ministère du budget a été émis le 16 mars 2010, avant même que la commission de transparence et de qualité du ministère de l'agriculture puisse se réunir et que la ville de Compiègne ne se prononce. La vente a été réalisée le lendemain et, le 18 mars 2010, Eric Woerth a annoncé à son homologue à l'agriculture que la cession avait été effectuée." |
A partir de ce faisceau de reproches, on soupçonne l’ancien ministre du budget d’avoir favorisé ses amis : toujours selon Le Monde, "Hubert Monzat, alors directeur de France Galop, une association liée à la SCC, a été conseiller d'Eric Woerth dans son cabinet au ministère des finances". De même, dans un courrier – révélé par Marianne– envoyé au président de la SCC, Antoine Gilibert, il apparaît que le ministre s’est fortement impliqué dans cette vente. Enfin, l’épouse de Woerth, Florence, possède une écurie au sein de l’hippodrome et a été membre de France Galop. Pour autant, la CJR a ouvert une enquête pour prise illégale d'intérêts et non pour favoritisme.
Les quatre ans d’enquête ont également porté sur la légalité, ou non, de la vente de cette fameuse parcelle. Pour sa défense, Woerth prétendait s’appuyer sur une loi modifiée en 2006 qui permet à l’Etat de vendre des parcelles de son domaine forestier, propriété de l’Office national des forêts, tant que ces dernières n’excédent pas 150 hectares. Or la parcelle en question était bien en dessous de cette surface. Et c’est là que les avis divergent comme le rappelleLe Monde : certains juristes estiment qu’il fallait prendre en compte la totalité du massif forestier de Compiègne, et non un bout, quand d’autres au contraire affirment que la vente d’une parcelle seule est tout à fait légale. Les juristes n’ont jamais réussi à se mettre d’accord et, d’ailleurs, la Cour n’a pas tranché sur le fond. Elle a seulement jugé ne pas avoir assez d’éléments pour poursuivre Woerth des faits qui lui étaient reprochés.
C’est donc un ouf de soulagement que pousse Woerth – ainsi que l’UMP – interrogé ce matin par Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. Durant cette interview, l’actuel député et maire de Chantilly dit avoir vécu "quatre ans d’enfer" et se réjouit de voir que "la justice a fait son travail". Il prétend également que les experts mandatés par la Cour ont estimé que le prix de la parcelle n’avait pas été sous-estimé et qu’elle valait bien 2,5 millions d’euros. Faux ! réplique le journaliste de Mediapart Michel Deléan sur twitter puisque la Cour n’a pas jugé l’affaire sur le fond. Déléan avait déjà dénoncé, lors de la réquisition de non-lieu émise par le ministère public, un "enterrement de 1ère classe", comme nous le racontions ici. Le journaliste, qui a couvert l’affaire de bout en bout, avait d’ailleurs révélé en 2012 le contenu du rapport remis à la CJR sur la vente de la parcelle alors appréciée à 8,3 millions d'euros et jugeait à l'époque la mise en examen de l'ancien ministre "inéluctable". Aujourd’hui, il conclut que ce non-lieu est une "nouvelle démonstration de l'art d'enterrer les affaires à la Cour de justice de la République".