Cahuzac : la piste des labos (Mediapart)

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Jérôme Cahuzac a-t-il déclaré au fisc tous les revenus issus de ces activités de conseil à des laboratoires pharmaceutiques dans les années 1990 ? C'est l'une des questions soulevées par le parquet de Paris dans sa demande d'ouverture d'une information judiciaire. Sans aller jusqu'à supposer explicitement que le présumé compte suisse aurait pu être alimenté par cet argent des labos, Mediapart avait déjà souligné les zones d'ombre de cette activité de lobbying en décembre 2012.

Et le site revient aujourd'hui sur cette question dans un nouvel article intitulé "Sur la piste de l'argent des labos".

C'est l'une des surprises de ce nouveau rebondissement de l'affaire Cahuzac : l'ouverture de l'information judiciaire ne vise pas seulement des faits de "blanchiment de fraude fiscale" mais aussi de "perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la sécurité sociale". Comme nous vous l'expliquions hier, les enquêteurs ont entendu un témoin assurant que les sommes versées sur le supposé compte de Cahuzac proviendraient de laboratoires pharmaceutiques.

Cahuzac, un lobbyiste au service des labos ? Mediapart avait déjà évoqué cette activité méconnue du ministre démissionnaire dans un article publié en décembre 2012. Entre 1988 et 1991, Jérôme Cahuzac a travaillé au cabinet du ministre de la santé Claude Evin et noué à cette occasion des liens avec les labos pharmaceutiques. Un carnet d'adresse que Cahuzac a sans doute voulu faire fructifier avec la création en 1993 de "Cahuzac Conseils", une société ayant pour objet du "conseil en entreprise", voire de l'"exploitation de brevets". Dit autrement : du lobbying. Une activité plutôt lucrative : "Dès sa première année d’existence, en 1993-1994, son cabinet « Cahuzac conseil » a ainsi affiché 1 932 500 francs de chiffre d’affaires, soit 385 343 euros", expliquait Mediapart en décembre. Ce n'est qu'en 1997, quand Cahuzac a fait son entrée à l'Assemblée nationale, que cette activité de conseil a été mise en sommeil.

Parmi les personnes avec lesquelles Cahuzac a travaillé pour cette "activité de conseil" figure notamment Daniel Vial, présenté par Mediapart comme un "super-lobbyiste". Ce dernier a par exemple travaillé pour le laboratoire Innothera, qui commercialisait notamment Tot’hema, un médicament à base de fer censé lutter contre la fatigue. Interrogé par Mediapart en décembre, Vial ne se souvenait plus si Cahuzac avait travaillé avec lui sur ce dossier Tot’hema. Mais plusieurs sources du site d'information ont souligné "l'histoire rocambolesque" de ce médicament qui a manifestement bénéficié de la bienveillance du ministère de la santé dans les années 1990.

Ainsi, le ministère de la santé décide en 1991 de dérembourser 141 médicaments censés lutter contre la fatigue mais jugés peu efficaces, le Tot’hema a un traitement de faveur avec la décision du ministère de maintenir pendant une année son remboursement par la sécu à hauteur de 70% du prix. Résultat ? "C’est l’effet d’aubaine : les patients se reportent illico sur le Tot’hema, dont les ventes hexagonales explosent pour atteindre 70 à 80 millions de francs de chiffres d’affaires annuel (14,5 à 16,5 millions d’euros)", explique Mediapart. Des cadres du labo pharmaceutique ont assuré à Mediapart que cette prolongation artificielle de ce remboursement était "le chef-d’œuvre" de Daniel Vial. Avec le soutien de Cahuzac ? Mediapart n'en sait rien.

Une chose est sûre : Jérôme Cahuzac connaissait très bien Arnaud Gobet, le PDG du labo qui commercialisait le Tot’hema. "Au milieu des années 1990, le patron d’Innothera a offert un cadeau inoubliable au socialiste : pour des vacances en Corse, Arnaud Gobet a prêté à Jérôme Cahuzac son yacht de 37 mètres de long, avec pont en teck et bordés en acajou, un vieux gréement de légende baptisé Thendara", assure Mediapart. Or, en 1993, une loi interdisait à un médecin "de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale". Le chirurgien esthétique, Jérôme Cahuzac, pourrait-il être inquiété ? "En s'engageant sur la piste des labos, la justice pourrait déterrer bien des secrets de l'industrie pharmaceutique", conclut aujourd'hui Mediapart.

Et si vous avez raté un épisode de ce feuilleton, consultez notre dossier : "Cahuzac, un compte suisse ?"

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