Théo : "La matraque télescopique, beaucoup de collègues l'ont demandée"

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Police et agressions sexuelles : emballement médiatique ou tabou soudain levé ?


Une accusation de viol d’un jeune homme par un policier, avec une matraque télescopique, et se multiplient dans les médias les témoignages d’humiliations à caractère sexuel, notamment lors des contrôles d’identité. S’agit-il d’un emballement médiatique classique ou d'un vrai tabou qui se trouve brutalement levé par la seule force d’un témoignage ? Question que nous posons à nos trois invités : Camille Polloni, journaliste du site Les jours et auteure d’une série de reportages réalisés à Aulnay-sous-Bois, ville où réside Théo, le jeune homme agressé, Gaétan Alibert, secrétaire national du syndicat Sud Intérieur et Rachida Brahim, sociologue rattachée au Laboratoire Méditerranéen de Sociologie à Aix-Marseille Université et auteure d’une thèse consacrée aux crimes racistes. En fin d'émission, Mathilde Larrère revient sur l'histoire du mot "bamboula" qui, n'en déplaise au policier Luc Poignant, n'est pas une expression "convenable".

Coulisses de l’émission par Anne-Sophie Jacques

Il est des sujets qui s’imposent. Lundi midi, à l’issue de notre conférence de rédaction, nous avions une émission en vue (je vous cache provisoirement son thème car j’ai bon espoir qu’on la réalise un jour). Hop invitation d’un premier invité, d’un deuxième, premier tour des images possibles, tout roule. Velours. Et puis mardi nous lisons l’article de Warda Mohamed publié sur le site Bastamag et découvrons par la même occasion que le viol présumé de Théo, ce jeune homme interpellé dans le quartier des 3 000 à Aulnay-sous-Bois le 2 février, est loin d’être un cas isolé.

La France a été condamnée à deux reprises pour torture par la Cour européenne des droits de l’homme pour des faits similaires survenus en 1999 et en 2011. Je découvre aussi le cas d’Alexandre dont le procès s’est tenu le 16 janvier dernier dans une certaine indifférence médiatique – exception faite du compte-rendu du Monde. Arrêté par la police municipale le 29 octobre 2015 à Drancy, Alexandre est agressé sexuellement juste avant son transfert à Bobigny. Le rapport médical indique "une plaie ouverte profonde saignante de 1,5 cm au niveau de la marge anale". Tout comme Théo, Alexandre raconte avoir été pénétré par la matraque du policier. Le chef d’accusation porte non pas sur un viol mais sur une violence volontaire avec arme. Autrement dit un simple délit. Le procureur a requis à l’encontre du policier six mois de prison avec sursis et un an d’interdiction d’exercer. Le jugement sera rendu le 20 février.

Mais il y a également l’affaire dite de l’enjoliveur qui date de 2004 et implique l’actuel commissaire d’Aulnay-sous-Bois, Vincent Lafon. A l’époque, alors qu’il était chef adjoint de la BAC (brigade anti-criminalité) de nuit à Paris, ses équipes poursuivent un malfrat sur l’autoroute A4. Une fois arrêté, l’homme est déculotté puis traîné sur plusieurs mètres. Un policier lui glisse un enjoliveur dans les fesses. Lafon est présent. Il sera condamné à un an de prison avec sursis pour abstention volontaire d’empêcher un délit ainsi qu’à une interdiction d’exercer pendant un an. Lors du procès, le parquet a assuré que cette agression était "la honte de la BAC parisienne".

Cette histoire – comme celle d’Alexandre ou encore celle des 18 adolescents qui ont porté plainte fin 2015 pour agressions sexuelles perpétrées par des policiers du XIIème arrondissement de Paris – sont également racontées dans le dossier de l’hebdomadaire Society consacré cette semaine aux "bavures à caractère sexuel de la police française". Signée Emmanuelle Andreani-Facchin, l’enquête est saisissante. Malheureusement la journaliste partait en reportage dans l’Est de la France cette fin de semaine et donc ne pouvait venir sur notre plateau. Elle m’a, cela dit, gentiment transmis son papier avant la parution du magazine vendredi.

Même problème d’agenda pour Warda Mohamed : la journaliste indépendante n’était pas disponible. Elle fut elle aussi d’un précieux concours en m’aiguillant sur des interlocuteurs possibles, dont notre invitée Camille Polloni. Mais je l’avais devancée en sollicitant d’ores et déjà la journaliste des Jours qui a immédiatement accepté notre invitation. Elle gardait un bon souvenir de notre émission de cet hiver sur l’enquête dessinée. Et moi je lâchais un sifflement admiratif à la lecture de sa nouvelle obsession que je vous conseille de lire ici.

Warda Mohamed m’a également donné le contact de la sociologue Rachida Brahim interrogée dans son papier. Sociologue rattachée au Laboratoire Méditerranéen de Sociologie à Aix-Marseille Université, elle s’apprête à soutenir sa thèse consacrée aux crimes racistes sur la période 1970-2003 et notamment aux violences policières. Elle accepte de faire l’aller-retour depuis Marseille pour participer à notre émission. Une longue interview d’elle vous donnera ici la mesure de ses travaux intitulés La race tue deux fois. Autrement dit une double violence subie par les victimes de crimes racistes : le crime en soi mais aussi le déni du crime par les institutions qui conduit à un sentiment d’impunité parmi les policiers.

Les policiers justement : il nous semblait indispensable d’avoir leur point de vue sur l’affaire Théo – ou disons le point de vue de leurs représentants. J’ai alors sollicité Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT-Police que nous avions invité lors de notre émission sur les violences policières à l’occasion des manifestations anti-loi travail. Mais,personnellement, le syndicaliste n’avait eu vent d’aucune histoire d’agression sexuelle – si ce n’est celle d’un commandant qui se gaussait d’avoir un jour uriné sur un lit lors d’une perquisition. Ceci dit, Langlois n’avait aucun fait précis à sa disposition, estimant que ce commandant était de toute façon un abruti. Il me conseilla néanmoins de contacter le syndicat Sud-Intérieur et après 48 heures de réflexion – la décision de venir ou non sur un plateau télé est prise de façon collégiale – son secrétaire national Gaétan Alibert a accepté l’invitation. Jeudi, nous avions l’émission que nous voulions. Celle qui s’est imposée. Celle que nous vous offrons.

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