Critiqué par des linguistes, "Le Figaro" reste droit dans ses bottes
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Cette émission est diffusée en direct un mardi sur deux à partir de 17 h 30 sur notre chaîne Twitch.
- 2:30 "Le Figaro" pas vraiment concerné par les critiques de linguistes
Une part substantielle de ce que la France compte de linguistes, un millier à ce jour, a signé le "Tract"Les linguistes atterrées, écrit par 18 auteur·es et récemment publié chez Gallimard afin de dénoncer les désinformations et paniques morales autour de la langue française. Notamment dans leur viseur : le Figaro et sa rubrique "langue française".
Une bonne occasion d'inviter Romain Filstroff, alias Monté de Linguisticae sur sa chaîne YouTube et sur Twitch (et auteur de Les mots sont apatrides). Parce qu'il vulgarise la linguistique dans ses vidéos depuis des années maintenant, y compris les reproches des chercheur·es en linguistique envers l'Académie française. Et parce qu'il n'hésite pas à plonger dans la critique des médias – de droite comme de gauche d'ailleurs. Ces derniers mois, il s'est plongé à plusieurs reprises dans des contenus du Figaro, d'abord pour infirmer le propos d'une tribune de Madeleine de Jessey, puis concernant une pastille vidéo de l'essayiste Sami Biasoni, enfin, plus récemment, sur un article du journaliste Dorian Grelier alléguant la "disparition du oui" (spoiler : ce n'est pas attesté par la recherche). Il nous raconte comment la plupart de ces contenus déplorant l'évolution de la langue, qu'elle soit réelle ou fantasmée, recouvrent le plus souvent un propos politique lui-même conservateur.
Du côté du Figaro, Dorian Grelier nous a indiqué, concernant son article, que la "diminution" (plutôt que la "disparition", reconnaît-il) du "oui" relève d'une observation personnelle de sa part. Il regrette par ailleurs de ne pas avoir été contacté par Filstroff (le vidéaste lui a pourtant bien envoyé un message privé sur Twitter avant que le journaliste ne le bloque, ce qu'ASI peut confirmer). "C'était l'occasion de se pencher sur l'étymologie du oui, sur sa valeur", poursuit le journaliste en indiquant avoir choisi de se reposer sur l'auteur d'un essai autour du "oui" et du "non". Concernant les critiques des linguistes atterrées (le Figaro a publié une tribune en réponse), il explique au nom de toute la rubrique : "On s'appuie sur des productions qui viennent par exemple de l'Académie française, que les linguistes en question n'aiment pas et rejettent. Donc je comprends tout à fait qu'ils rejettent aussi les propos qu'on peut tenir dans nos articles." Il regrette par ailleurs le volume de critiques adressées à la rubrique "langue française" sur Twitter, qu'il qualifie de "cyberharcèlement". Et s'indigne que certains linguistes écrivent à leurs homologues pour leur déconseiller de s'exprimer dans le Figaro : "Pour moi, recevoir un tel mail s'apparente à une atteinte à la liberté de la presse."
- 59:45 La "lecture rapide" perce jusqu'aux plus grands médias
Vous avez peut-être croisé des champion·nes de lecture rapide dans vos publicités YouTube. Ou dans des vidéos. Ou à la télévision. Ou dans la presse nationale. Ou en écoutant une radio locale. La lecture rapide est partout... pourtant, le consensus scientifique (il y en a un à ce sujet) est assez clair : la lecture rapide induit une diminution de la compréhension, et ne "fonctionne" donc que dans la mesure où elle revient à survoler un texte. Comme Monsieur Jourdain, nous faisions donc déjà tous de la lecture rapide sans le savoir, expose une enquête vidéo de la chaîne YouTube G Milgram.
Son auteur ne s'arrête pas là : il montre que les "championnats du monde de lecture rapide", dont se prévalent bien des vendeurs et vendeuses de formations en lecture rapide, sont organisés et souvent remportés par... des vendeurs et vendeuses de formations en lecture rapide ! Ou comment une opération de communication circulaire a été gobée tout cru par les plus grands médias, qui deviennent autant de supports promotionnels pour ces formations souvent coûteuses. Bien trop coûteuses, constate un autre vidéaste, Babor, qui s'est penché en parallèle de G Milgram sur la formation d'un "spécialiste de la lecture rapide" destinée, celle-ci, à écrire un livre en sept jours. Babor qu'on avait reçu sur notre plateau en 2021, avec le vidéaste Sylvqin et la journaliste Marine Périn, pour parler des enquêtes journalistiques diffusées sur YouTube.
- 1:19:00 La com' de Dyson, de la guerre anti-essuie-mains au marketing d'influence tech
ASI était passé à côté de cette incroyable séquence aussi scientifique que médiatique et promotionnelle : depuis une décennie, le fabricant d'aspirateurs Dyson affronte farouchement le lobby des essuie-mains en papier afin d'imposer son sèche-mains "Airblade". Une bataille autour de l'hygiène des mains dans un premier temps (Dyson et le lobby des essuie-mains s'accusant mutuellement d'être moins sains), puis aujourd'hui autour de l'environnement (Dyson dénonce l'impact des serviettes en papier). Une bataille qui implique notamment le financement d'études scientifiques des deux côtés, études ensuite promues (et relayées) par les plus grands médias, dont très peu prennent la peine de contextualiser ces "résultats" toujours favorables à leur commanditaire industriel. Quand ils ne publient pas carrément des publireportages de Dyson, du prestigieux The Atlantic au plus obscur Batiweb, site français destiné aux professionnel·les du bâtiment.
Aujourd'hui, la communication française du groupe Dyson, en sus de ces publireportages à la gloire des sèche-mains surpuissants, se focalise sur le marketing d'influence : écrit plus prosaïquement, ils s'offrent de la pub chez des influenceurs "tech". Des hommes évidemment, qui promeuvent donc des aspirateurs entre deux vidéos sur le dernier produit Apple, dont Dyson copie le modèle plutôt que celui des banales sociétés d'électroménager, moins glamours. En quoi ces contenus produits par les vidéastes de l'agence Emakina/Influx posent-ils problème ? Par exemple lorsqu'un média, ici GQ, leur permet de glisser parmi leurs "10 essentiels" un… aspirateur Dyson. Évidemment sans préciser qu'ils sont par ailleurs rémunérés pour faire la promotion du fabricant.
- 1:53:30 Crédit vélo à taux zéro, le Crédit mutuel s'offre une campagne de pub gratuite
L'information était partout, du Parisien au journal de 13 h de France 2 en passant par bien d'autresgrands médias : le Crédit mutuel propose un prêt à taux zéro pour acquérir un vélo électrique, et pas besoin d'être client de la banque pour en profiter ! Voilà pour l'annonce faite par le groupe bancaire mutualiste. Mais il fallait lire le Figaro (aidé par l'AFP) pour comprendre que cette offre de la banque relevait d'une opération de communication destinée à célébrer la fin des hostilités internes avec la branche bretonne, permettant de faire bénéficier l'ensemble du groupe de l'image d'une banque écologique et proche des gens.
Dans certains médias, où quelques vraies questions étaient posées, on en apprenait un peu plus : l'opération est sous condition de solvabilité, excluant de fait une part importante de la population de ce prêt, et permettant à la banque de récolter de précieuses données sur de potentielles futurs clients solvables. Et même très solvables, puisqu'une autre condition de ce prêt consiste à amener "la facture" du vélo électrique pour obtenir le prêt, dixit le patron du Crédit mutuel. Voilà qui pourrait fortement limiter le nombre d'emprunteurs, tout en ayant obtenu une campagne de pub géante et gratuite sur le dos des médias. Qui n'avaient pourtant pas montré le moindre intérêt lorsqu'il y a deux ans, LCL avait proposé une offre similaire à taux zéro.
- 2:22:08 Pourquoi la Banque de France s'offre Jean Massiet ?
La semaine dernière, l'un des streams quotidiens de Jean Massiet était un peu inhabituel. Il s'agissait d'une conférence avec le gouverneur de la Banque de France en "partenariat", à l'occasion des "Rencontres de la politique monétaire", indiquait alors le streameur politique et fondateur de l'émission Backseat. Sans plus de précisions quant à la nature de ce partenariat. Déclenchant quelques questions sur Twitter, et des rappels à propos des deux précédentes opérations de communication de la Banque de France avec des vidéastes, dont la Banque de France se félicite d'ailleurs : en 2022 avec le journaliste Alexandre Marsat du média (à financements publics) CurieuxLive, et en 2021 avec le vidéaste Cyrus North. Aucun des deux n'a répondu aux sollicitations d'ASI. Ni fait œuvre de transparence, lors de la diffusion des contenus issus du partenariat, quant à la nature de leurs partenariats avec la Banque de France – qui a jugé les deux opérations fructueuses à en juger par cette interview de son responsable de la communication.
"On les a contactés parce qu'on démarche beaucoup les institutions, on s'est mis d'accord, ils m'ont proposé de me confier l'animation des Rencontres de la politique monétaire, indique à ASI Jean Massiet à propos de ce partenariat. Ils n'avaient pas de demandes particulières, c'est plutôt moi qui en avais : que ce soit interactif avec le chat (de sa chaîne Twitch, ndlr), qu'on puisse parler de tout." Ce qu'il a pu faire sans problème, assure le streameur concernant ce partenariat dont la contrepartie était que la Banque de France "paie la production" de la soirée ("plus de 10 000 euros") : "Ce n'est pas le plus rémunérateur pour moi, la commu (ses abonné·es sur Twitch, ndlr) reste le numéro un." Lorsqu'il a commencé ces partenariats avec de grandes institutions publiques, il pensait devoir défendre sa liberté de parole… mais cela n'aurait pas été le cas : "Je les mets en garde en leur disant «dans le chat, il y aura des questions salées», certaines me répondent que c'est ce qu'elles veulent en travaillant avec moi. En fait, ils sont contents d'avoir les sujets qui fâchent." Il signale cependant que "les services com' sont toujours plus crispés que les dirigeants".
- 3:03:50 Sébastien Lecornu et le Mariage pour tous, histoire (personnelle) d'une citation
J'ai récemment découvert que quelques citations attribuées au ministre de la Défense Sébastien Lecornu faisaient polémique depuis son entrée au gouvernement en 2017 : celles marquant son opposition, en 2013, au Mariage pour tous. Il déclarait alors que le mariage était une institution qui ne pouvait "se résumer à un régime fiscal", ou encore que "le mariage est dans nos sociétés la base de la construction de la famille […] et une famille se construit entre un homme et une femme". Déterrés par le journaliste de Mediapart (alors chez Buzzfeed France) David Perrotin en 2017, et depuis régulièrement rappelés dans les médias, de Libération au Monde en passant par l'Obs et les comptes issus de la communauté LGBT sur les réseaux sociaux, ces propos n'ont jamais été frontalement démentis par le ministre.
Sébastien Lecornu a néanmoins mis en cause leur exactitude, lorsque le député LFI Bastien Lachaud s'est inquiété, au sein d'une commission parlementaire, que le ministre de la Défense ne soit pas suffisamment à cheval sur la lutte contre les discriminations dans les armées. "J'aurais beaucoup à dire sur l'interview que j'avais donnée lorsque j'étais jeune candidat […] Je serais heureux de vous l'expliquer dans un autre cadre", avait répondu le ministre… et baron local de l'Eure autant que de Vernon, ce qui a son importance : la personne qui avait recueilli ces propos en 2013, c'est moi, tout simplement. Blogueur local, j'avais couvert une manifestation anti-Mariage pour tous de l'Alliance vita. Puis eu l'idée de demander aux trois futurs candidats de droite aux élections municipales de se positionner publiquement à propos du projet de loi.
Sébastien Lecornu a raison en indiquant qu'il était "jeune candidat". Mais il était aussi déjà un politique chevronné, ayant débuté comme assistant parlementaire dès 16 ans : il choisissait déjà soigneusement les termes qu'il employait, et je réponds de ma propre retranscription. Quant au pourquoi son opposition de l'époque au Mariage pour tous, la réponse est peut-être dans cet article du Poulpecontant par le menu l'influence politique, dans Vernon, d'une communauté catholique fervente. Communauté qui, en 2014, vota… Lecornu. CQFD.