"Le vrai tabou, c'est que l'Allemagne bloque tout" [Avent2020]
La rédaction - - 909 commentairesSortir de l'euro ? Sapir et Mélenchon en débattaient en 2013
Nous republions ici un débat, organisé en 2013 sur notre plateau, entre Jean-Luc Mélenchon et Jacques Sapir. Sortir de l'euro, un débat tabou ? Il est vrai que médiatiquement, à la télévision ou dans les journaux sérieux, on n'aborde guère la question. De plus, tout responsable politique ou expert économiste qui se risque à préconiser le retour aux monnaies nationales est aussitôt disqualifié par les journalistes dominants. A un an des élections européennes, il nous a apparu nécessaire de faire vivre ce débat en nous gardant de militer pour (ou contre) une fin de la monnaie unique. Pour en débattre justement, deux invités : l'économiste Jacques Sapir, fervent partisan d'une sortie de l'euro comme il l'écrit avec constance sur son blog Russeurope, et Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de Gauche, pour qui l'euro n'est pas le problème et n'empêcherait pas de mettre en œuvre une autre politique.
Making-of par Anne-Sophie Jacques
En direct ? Oui, en direct. Pour la première fois de l’histoire du site, nous décidons de diffuser en live et en accès libre une émission. Et quelle émission ! Pour nous, sur le plateau, ça ne change rien vu qu’on tourne toujours dans les conditions du direct, pas le droit à l’erreur, aucune coupe ne sera faite, parce qu’on ne fait pas de la télé sur @si, on fait autre chose. Et sur ce sujet, l’hypothèse d’une sortie de l’euro, cette forme sied parfaitement. On va prendre le temps de développer cette question : quel avenir pour la zone euro? On va s’en emparer. La cuisiner. La passer à la casserole. Sans tabou. Sans gros yeux fâchés.
Le direct ne change rien, mais bon, après plusieurs semaines de travail sur la question, je ne vous explique pas la pression. Au fur et à mesure du défrichage, je comprends mieux pourquoi la sortie de l’euro est un sujet qu’on esquive. Trop complexe. On se retrouve devant un tableau de bord avec des milliers de boutons. Sitôt un bouton touché, douze lumières se mettent à clignoter. Dévaluer? Oui mais. Inflation? Pas question ou alors dans certaines conditions. C’est bon pour qui? Les pays du Sud. Mais là encore ce n’est pas si simple. La complexité de l’analyse économique se heurte vite aux paramètres politiques et géopolitiques. Et c’est cette collusion qui est mise en scène pendant les deux heures d’émission.
Pourquoi poser la question, après tout? Parce qu’après deux ans de voyage en économie, l’évidence s’impose: la convergence des économies souhaitée lors de la création de la monnaie unique n’a pas eu lieu. Pire: les économies divergent, et pas qu’un peu. On le voit bien sur les graphiques brandis par Jacques Sapir en début d’émission: ces lignes vous semblent peut-être absconses – vous pouvez les regarder de plus près, les graphiques sont au pied de cet article – mais peu importe, l’important est dans le mouvement. On ne converge pas, on s’éloigne. On s’oppose. Et cette opposition crée des tensions, forcément. Suffit d’avoir l’œil rivé sur le fil d’actualités espagnoles, italiennes, portugaises, sans même parler de la Grèce ou de Chypre pour comprendre que la situation va tourner en eau de boudin.
Parmi les politiques aujourd’hui, certains font l’autruche. C’est le cas de François Hollande – et il faudrait compter le nombre de fois où Jean-Luc Mélenchon, sur le plateau, le traite de carpette. D’autres veulent croire que le problème est conjoncturel, comme le Vert Pascal Canfin qui estime qu’une fois l’Europe revenue à gauche, la tendance s’inversera. D’autres enfin considèrent que le problème est structurel. C’est le cas de nos deux invités. Mais quand Sapir affirme qu’il n’y a pas d’autres choix que de sortir de cette structure, Mélenchon veut la faire plier. Vous verrez, dit-il, si je me pointe avec dans la poche un livre de Sapir et dans l’autre un livre de Jacques Généreux, l’économiste qui inspire le Parti de Gauche, je réussirai à tordre le bras de l’Allemagne. Ou lui clouer les mains sur la table comme le disait François Mitterrand.
Oui, le débat est dense, parfois un peu trop technique, et vous l’avez fait savoir sur le réseau social twitter ou dans le forum. C’est amusant, car c’était l’objet de notre discussion avant l’émission. Nos invités sont arrivés en même temps, avec un quart d’heure d’avance. Entre deux poignées de noix de cajou, ils nous affirment que les questions économiques – ou scientifiques – souffrent toujours de simplification. Mais c’est notre boulot de journalistes de simplifier, se défend Daniel. De fait, nous n’avons pas toujours réussi l’exercice de pédagogie pendant le débat. J’avoue même avoir eu peur pendant la première demi-heure. Je profite de la diffusion d’un extrait de reportage pour souffler à Sapir : vous savez, ma mère regarde l’émission. Sapir opine, mais je sens bien qu’il fait son maximum. Et puis ma peur s’évapore au fur et à mesure de la discussion. Ça phosphore, et c’est ça qui compte. Comme dans un livre de philosophie : on ne comprend pas forcément ce qu’on lit, on continue la lecture malgré tout, et une fois le livre posé sur la table, on sent qu’une, deux, trois idées infusent en nous. La question de la sortie de l’euro n’apporte pas une réponse mais des milliers de questions, autant de bulles que nous avons vu naître sur le plateau.
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Le débat Sapir/Mélenchon venait conclure une série d’articles qui commence ici, avec un texte introductif, puis se poursuit avec la situation de Chypre qui, selon certains économistes, préfigure un scénario de sortie de l’euro. On entre ensuite dans le dur du sujet avec les conséquences économiques de la fin de la monnaie unique et le retour aux monnaies nationales voire la mise en place d’une monnaie commune. Enfin, nous terminons sur l’examen du traitement médiatique des partisans d’un retour au franc, où l’on voit comment François Lenglet, Michel Denisot ou Yann Barthès disqualifient d’emblée leurs arguments.
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Les graphiques de Jacques Sapir :
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