Vaccins : "Le rapport de force n'a pas été à l'avantage des États"

La rédaction - - 95 commentaires


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Alors que le gouvernement français vient de rendre publique sa future stratégie de vaccination, qui devrait débuter courant janvier chez les plus exposés, de nombreuses zones d'ombre subsistent autour du développement des vaccins candidats à la commercialisation. De quoi alimenter les doutes dans une France championne des antivax? Élements de réponse avec nos invitées.

Vite, les vaccins ! Ces dernières semaines, alors que les différents laboratoires rivalisent de communiqués de presse pour nous annoncer l'efficacité de leurs produits, bien aidés par les médias nationaux qui choisissent leurs champions nationaux respectifs (et ne manquent pas de faire les gros yeux aux vaccins chinois et russe) l'heure est à l'euphorie. Oui, assure-t-on, la fin de la pandémie est proche ! Pour preuve, le gouvernement français a officiellement dévoilé son plan de vaccination le 3 décembre, qui prévoit un million de vaccinations d'ici fin janvier, et le pays a découvert le visage de son "monsieur Vaccination", Alain Fischer - en fait, son deuxième "monsieur Vaccination", le précédent, Louis-Charles, étant un peu trop proche des lobbies pour être accepté par le grand public. À écouter Emmanuel Macron, la campagne pourrait débuter des décembre, ou début janvier, en fonction des autorisations délivrées par les autorités sanitaires françaises et européennes. L'orchestre gouvernemental jouait parfaitement sa partition optimiste quand soudain, l'accroc. Dans un remarquable élan de transparence, Alain Fischer, à peine intronisé, liste ses doutes au sujet des vaccins : pas de données scientifiques publiées par les laboratoires sur la phase de tests, à peine deux à trois mois de recul depuis la vaccination, des données incomplètes sur l'efficacité des vaccins sur les personnes à risque, et des questionnements sur la capacité de ces vaccins de protéger longtemps, et de protéger contre la transmission.

Doit-on s'inquiéter, alors,  de ces vaccins, alors que la France est aujourd'hui le pays européen où la méfiance sur le sujet est la plus élevée? Pour y répondre, nous accueillons (en visio) nos deux invitées : Lise Barnéoud, journaliste indépendante et autrice spécialisée sur les vaccins, qui signait le 27 novembre une enquête retentissante dans les pages du Monde sur le contrat à un milliard de dollars passé entre Gilead et l'Union européenne pour acquérir 500 000 doses de remdesivir, un traitement inefficace contre le Covid-19 ; et Françoise Salvadori, maître de conférences en immunologie à l'université de Bourgogne, co-autrice de l'ouvrage Antivax : la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours. Elle voit dans les déclarations déconcertantes d'Alain Fischer une "parole honnête d'un grand expert (...) quelqu'un qui donne ses doutes. La communication est tellement importante dans ce domaine que si on doute trop, on se demande quelle va être la réaction sur les Français, mais si on ne doute pas assez, ça va être la même chose. On est sur un fil très très ténu. Ca va être un problème de com', et je pense qu'il en a parfaitement conscience."

Une aubaine pour les laboratoires

Douter, donc. D'une technologie expérimentale, celle choisie entre autres par les laboratoires Pfizer et Moderna : le vaccin par "ARN messager", technique développée depuis quinze ans, encore mal connue, mais qui promet déjà de révolutionner la médecine, notamment en divisant  les coûts et délais de production des traitements. Une technique sur laquelle repose le miracle du vaccin Covid-19, reconnaît Lise Barnéoud : "C'est quand même une prouesse que d'arriver à un tel taux d'efficacité avec cette technique, donc j'imagine que c'est un jour nouveau pour la médecine." Rappelons néanmoins que les chiffres des résultats de la phase III, communiqués via les laboratoires, sont "très basiques", et sur la base de communiqués de presse, et non d'une publication scientifique revue et corrigée par les pairs. Une rapidité permise par "tous ces progrès accumulés [qui] font avancer plus vite", rassure néanmoins Françoise Salvadori. Et à l'aide de quelques ajustements méthodologiques, permis par les régulateurs internationaux, qui permettent entre autres de faire se chevaucher les différentes phases (I,II,III) de développement du vaccin, voire de tester le vaccin candidat directement sur des patients humains, sans passer par des tests sur animaux. Une disposition exceptionnelle dont a pleinement profité Moderna, qui a mené les tests de son vaccin simultanément sur humains et animaux.

Douter, ensuite, de la bonne volonté des laboratoires, dont les dirigeants profitent à plein régime de la vague d'investissements publics réalisés pour soutenir cette gigantesque course au vaccin. dans un Complément d'enquête (France 2) diffusé le 5 novembre, on apprend que le cours de l'action de Moderna a été multiplié par 4 (depuis, ce chiffre est encore monté) et que certains de ses dirigeants, en vendant leurs actions, se sont déjà largement enrichis - y compris son PDG français, Stéphane Bancel, par ailleurs chouchou de nos plateaux hexagonaux, qui aurait empoché 40 millions de dollars en vente d'actions. Un comportement pour le moins inhabituel, même dans le monde des entreprises cotées en Bourse, qui a attiré l'oeil de la radio publique américaine. 

D'autant que Moderna n'est pas la seule start-up à profiter d'un moment de grâce dans les financements publics, précisait le New York Times en juillet : les cadres de 11 start-ups biotechnologiques avaient alors déjà empoché près d'un milliard de dollars de profit en vente d'actions. Et la fièvre touche jusqu'aux PDG de Pfizer et Bio NTech, qui ont respectivement empoché 5,6 et 1,8 millions de dollars d'actions le 9 novembre... date de la publication des résultats du vaccin. Pour Lise Barnéoud, le problème ne réside pas tant dans ces ventes d'actions que dans les énormes subventions reçues par ces entreprises et leur impact sur les prix des vaccins à l'achat pour les États : "C'est là qu'il y a un vrai problème. Il ne faudrait pas que les ressources de santé publique fassent l'argent de quelques actionnaires. On n'a pas connaissance des contreparties précises. Il n'y a aucune contrepartie au niveau des brevets, aucune contrepartie au niveau d'un prix qui serait fixé pour une longue période de temps... je comprends que les États aient eu envie de soutenir les industries pharmaceutiques, mais le rapport de force n'a pas été à l'avantage des États."

de la collusion au complotisme

Reviennent alors, pour terminer, les habituels soupçons decollusion entre autorités scientifiques et laboratoires - le fameux Big Pharma, ces multinationales du médicament qui pratiquent un lobbying aussi intense que les homologues des autres secteurs industriels.Et lorsque l'on évoque ces thèmes, la figure de Didier Raoult n'est jamais très loin : en juin dernier, durant son audition à l'Assemblée nationale, l'infectiologue marseillais insinuait que plusieurs membres du Conseil scientifique étaient sous la coupe du laboratoire Gilead, et que ces inféodations expliqueraient à la fois le dédain pour l'hydroxychloroquine et l'empressement à développer le remdesivir. Les faits donneront finalement tort à Didier Raoult, puisque la France, alertée par un avis défavorable de sa Haute autorité de Santé, sera finalement le seul pays européen à ne pas passer commande chez Gilead. Pour Barnéoud, "c'est vrai que Gilead est l'une des entreprises qui arrose le plus les scientifiques dans le champ de l'infectiologie en France,  mais il se trouve que nos institutions ont quand même fonctionné." Quant aux collusions financières entre Gilead et le Conseil scientifique, elles existent bien pour au moins 4 de ses membres, qui ont perçu entre quelques centaines et quelques milliers d'euros en avantages et rémunérations sur la période 2012-2019, selon les déclarations d'intérêts suivies à la trace par des ONG pro-transparence médicale.

Françoise Salvadori rappelle que ce genre de scandale de collusion "ne touche pas les vaccins. Ce que je trouve lamentable, c'est qu'on a appris tout de suite que les laboratoires avaient gagné de l'argent. C'est catastrophique en termes d'image et ça va leur éclater à la figure. (...) C'est normal d'être soupçonneux quand on entend ça, c'est normal d'être choqué, mais comment faire autrement ? Je suis obligée de reconnaître qu'il y a un problème, mais ça ne peut pas remettre en cause le vaccin." Pas sûr que la frange la plus méfiante de la population vis-à-vis des vaccins entende ces appels à la mesure, cependant. Une frange convaincue que de sombres desseins se jouent à la faveur de la pandémie, guidée par des vidéos YouTube comme celle de Frédéric Chaumont, créateur du site verite-covid19.fr, depuis retirée du site pour désinformation. Il explique que le vaccin contiendra des nanoparticules qui, connectées à notre téléphone portable puis au réseau 5G, permettront à l'OMS et Bill Gates de nous contrôler (une erreur d'interprétation de deux brevets distincts liés à Microsoft, l'un évoquant les nanoparticules placées dans le corps pour remplacer le carnet de vaccination dans les pays pauvres, l'autre évoquant un dispositif exotique de création de cryptomonnaie à partir de l'activité physique). Dans la même vidéo, il explique que le virus a été fabriqué par l'Institut Pasteur, nouvelle erreur d'interprétation d'un brevet de séquençage d'un précédent coronavirus en 2003. Rien de nouveau pour Françoise Salvadori, qui rappelle que des théories similaires ont circulé lors de l'épidémie de grippe H1N1, lorsque l'OMS était soupçonnée de vouloir prendre le pouvoir. Alors, à quoi ressemble la méfiance anti-vaccin en 2020? "Le grand méchant, dans l'histoire des vaccins", c'est désormais Bill Gates. Et aussi la notion de marquage, "que l'on trouve dans l'imaginaire colonial. (...) Dans les pays développées, c'est un argument qui reste, les gens ont peur de se faire stériliser, ou marquer, ou suivre par le vaccin. Maintenant le grand Big Brother c'est Bill Gates, avant c'était l'État colonial.(...) Dans la réalité française actuellement,  les deux motifs le plus souvent mis en avant, c'est la crainte des effets secondaires, le retour à la nature (...) et le rejet des profits." Des thématiques qui portent, puisque la France est le champion européen des "antivax".

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