Un tribunal médiatique ? "Il y a plein d'enquêtes qu'on ne publie pas"
La rédaction - - 52 commentairesLes médias sont-ils devenus un tribunal ?
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Violences sexuelles, #MeToo, libération de la parole : les médias seraient-ils devenus un vaste tribunal ? L'accusation revient sur tous les plateaux, dans la bouche de nombreux avocats. Les journalistes débattent, le monde judiciaire se déchire à coups de tribunes. Un homme mis en cause publiquement a-t-il les moyens de se défendre ? Pourquoi les femmes préfèrent-elles passer par les médias plutôt que par la justice ? Et la présomption d'innocence, les journalistes y sont-ils réellement tenus ? Autour de la table, trois invitées aux avis diamétralement opposés, et forcément, un débat très très animé. Fanny Colin, avocate, défend notamment Ibrahim Maalouf, accusé d'agression sexuelle sur mineure avant d'être innocenté par la justice. Elle est aussi l'avocate de Christophe Ruggia, accusé d'agressions sexuelles par l'actrice Adèle Haenel. Une accusation formulée dans une enquête réalisée par notre deuxième invitée, Marine Turchi, journaliste à Mediapart
et autrice de Faute de preuves, enquête sur la justice face aux révélations #Metoo(Seuil, 2021). Notre troisième invitée, Mathilde Jouanneau, est avocate elle aussi, présidente de l'association Femmes et droit, et elle soutient fermement le mouvement #MeToo.
Les mis en cause ont accès aux plateaux
Si tribunal médiatique il y a, les mis en cause ont-ils les moyens de se défendre ? "Oui", répond l'avocate Mathilde Jouanneau, qui observe que régulièrement, les chaînes de télévision diffusent de longues interviews où les hommes accusés ont la possibilité de se défendre. Ainsi Nicolas Hulot et Luc Besson sur BFMTV, ou Patrick Poivre d'Arvor chez Quotidien
. L'avocate remarque d'ailleurs que les mis en cause savent, à ces occasions, parfaitement utiliser l'outil médiatique.
Christophe Ruggia a-t-il eu la parole dans l'enquête de "Mediapart" ?
Vive opposition sur notre plateau. Fanny Colin, l'avocate de Christophe Ruggia, mis en cause par Adèle Haenel, estime que son client n'avait pas à répondre à Mediapart. Marine Turchi, journaliste qui a révélé l'affaire, montre les questions nombreuses et précises envoyées au réalisateur avant la publication de son enquête. Une enquête que l'avocate juge "déloyale". La journaliste l'interroge : "Pourquoi ne pas avoir accepté un entretien ?"
Et la présomption d'innocence ?
Les journalistes sont-ils tenus de respecter la présomption d'innocence ? Dans son enquête sur Nicolas Hulot, Envoyé spécial
notait que l'ancien ministre était "présumé innocent". Une précision pas forcément utile pour Marine Turchi qui préfèrerait laisser "plus de place au contradictoire" (en l'occurrence, Nicolas Hulot avait refusé de répondre à France 2) que d'employer des formules un peu creuses, qui "perdent de leur sens". D'autant qu'au moment de la diffusion de l'émission, Nicolas Hulot ne faisait l'objet d'aucune plainte. La présomption d'innocence ne s'applique donc que dans le cadre d'une procédure judiciaire.
Pour aller plus loin
- Faute de preuves, le livre-enquête de Marine Turchi
- "L'extension de #Metoo menace l'édifice démocratique", la tribune signée par Fany Colin.
- L'étude du barreau de Paris sur la notion de "tribunal médiatique", parue en novembre 2021.