Trappes : "J'aurais préféré ne pas jouer ce match"
- Intox & infaux - 128 commentairesTélécharger la video
Télécharger la version audio
Peut-on retourner les armes sensationnalistes des chaînes d'infos contre elles pour porter un discours nuancé ? C'est à cette question que l'émission de cette semaine va tenter de répondre. Ali Rabeh maire de Trappes, s'est lancé la semaine dernière dans un duel à distance avec Didier Lemaire, prof de philosophie dans un lycée de la ville. L'enseignant décrit une commune aux mains des islamistes. L'élu, lui, tient à démonter le récit médiatique. Tout en abordant les difficultés que rencontre sa municipalité face au communautarisme.
L'émission commence par un rappel du défilé médiatique de Didier Lemaire : ce professeur de philosophie au lycée de la plaine de Neauphle à Trappes dans les Yvelines a fait le tour des plateaux télé pendant une semaine. En cause : une interview dans le Point où l'enseignant raconte être sous protection policière suite à un documentaire d'une chaine néerlandaise dans lequel il dénonçait la montée de l'islamisme à Trappes. CNews, BFM, Sud Radio... le professeur décrit une ville écrasée par l'islamisme : "Mes élèves ne se sentent plus français du tout, ils ont d'autres mœurs, une idéologie qui les sépare de la liberté, de l'égalité... Les filles sont soumises aux garçons."
Pour Ali Rabeh, maire de Trappes (Génération.s), il fallait réagir. A son tour, l'édile multiple les plateaux pour répondre à cette "figure", qui a fait "irruption" : "Je suis allé sur CNews, BFM idem, parce que Lemaire y est allé."
Mais Rabeh aurait préféré "qu'on lui foute la paix" : "Ça fait sept mois seulement que je suis maire de Trappes. Je suis aux prises sur le terrain avec des difficultés qui sont nombreuses, dont la question de la radicalisation et du repli communautaire."
Rabeh ne dénonce pas seulement les propos de Lemaire : il relève aussi que sa parole a été "amplifiée, déformée, travestie"
sur les plateaux. Rabeh a donc tenté de déjouer le récit médiatique délivré par Lemaire avec la complaisance des chaînes d'info. En utilisant leurs propres armes. Peut-on donc, dans un débat tranché, faire entendre un point de vue nuancé ?
"On ne peut plus chanter en maternelle"
Ali Rabeh d'abord, s'exprime sur les faits. Dès 2018, Didier Lemaire assurait sur France Inter que "les enfants ne peuvent plus chanter à la maternelle"
, à cause de l'islamisme qui gangrènerait toute la ville. En réponse, Rabeh remarque que, en général, les propos de Lemaire sont "un mélange de vrai, dont je suis moi-même témoin sur le terrain, et des infos assénées comme des vérités mais qui sont actuellement fausses."
Un des soucis de l'exposition de Lemaire selon Rabeh, est que les journalistes n'ont, au départ, jamais précisé l'appartenance du professeur au Parti solidariste républicain, un micro-parti très porté sur la laïcité, comme l'a raconté ASI la semaine dernière. Pour ce qui est des chants à l'école, Ali Rabeh explique au contraire qu'à Trappes, "il n'y a pas une école, il n'y a pas une classe où on ne
chante
pas."
D'autres témoignages corroborant ceux de Lemaire sont sortis dans la presse comme celui de Omar Youssef Souleimane dans le Figaro, écrivain qui a animé un atelier d'écriture dans la classe de Lemaire. Souleimane y décrit des lycéens qui n'ont qu'un rêve : partir à Dubai ou en Arabie Saoudite, ou qui revendiquent d'avoir une photo du corps décapité de Samuel Paty dans leur téléphone. Rabeh refuse de donner une quelconque légitimité à ce genre de témoignage. "Je n’étais pas dans cette classe, mais je connais les jeunes de ma ville. Leur rêve c’est de rentrer dans une bonne école de commerce, pas de partir à Dubai ou devenir prof dans une université islamique".
Toutefois, face aux propos d'une enseignante rapportés par les journalistes du Monde Ariane Chemin et Raphaelle Bacqué dans leur livre La Communauté
, paru en 2018, Rabeh concède des problèmes à Trappes, deuxième ville qui "fournit" le plus de jihadistes en France : "Il y a incontestablement un terreau, [...] au développement de réseaux islamistes armés, ces faits-là sont incontestables. Il y a l’allumette qui existe et vous avez aussi du carburant, c’est le sentiment d’être relégué, condamné et mis à l’écart de la République. Moi mon rôle en tant que maire c’est d’éponger ce carburant."
Face aux journalistes télé qui décrivent le "Trappistan" comme un califat, Rabeh s'insurge : "J'ai un bilan qui parle pour moi, même le préfet explique «qu'on a jamais aussi bien travaillé qu'avec le nouveau maire.» Car l'ancien, lui, poussait la poussière sous le tapis."
Coiffeurs mixtes ou pas mixtes ?
Une des séquences phares de la semaine Rabeh / Lemaire s'est déroulée sur CNews, sur le plateau de Morandini. Alors que Didier Lemaire affirmait qu'il n'y avait plus de salons de coiffure mixtes à Trappes, Rabeh est interrogé en duplex... devant un salon mixte. "Au lieu d’affirmer dans mon bureau qu’il y a des coiffeurs mixtes à Trappes, alors autant y aller sur le terrain en direct. J'ai voulu retourner le grotesque de la situation contre eux."
Finalement, dans cette riposte, Rabeh n'est-il pas le grand gagnant ? "Ce match, j'aurais préféré ne pas le jouer, c'était grotesque"
, assure-t-il, en profitant pour dénoncer une "trumpisation des discours"
. A la question "Quelle est la meilleure façon de contrecarrer les récits médiatiques des journalistes de plateau, entre des discours intellectuels et la contre-attaque en utilisant les armes de l'ennemi?"
, Rabeh n'a pas la réponse.
Dans la dernière partie de l'entretien, Rabeh revient sur l'affaire du "tract" : la semaine dernière, il avait été accusé d'avoir distribué un tract au sein du lycée contre Didier Lemaire. En vérité, Rabeh décrit "une lettre d'espoir", qui a été distribuée en dehors de l'enceinte du lycée.
Rabeh revient aussi sur l'affaire de l'incendie de la synagogue de Trappes en 2000 : la justice avait conclu à un incendie accidentel. Dans leur livre, Chemin et Bacqué affirment que c'est un incendie criminel. Rabeh assure que si de nouveaux éléments sont à la disposition de la justice, elle se doit de rouvrir une enquête pour rétablir la vérité.
En fin d'émission intervient Emmanuel Sandlers, de l'association des Juives et Juifs révolutionnaires, qui a organisé une commémoration à Paris cette semaine pour les 15 ans de l'assassinat d'Ilan Halimi par le "gang des barbares". Suite à son intervention sur la chaîne i24news, et un débat houleux avec d'autres intervenants, Sandlers raconte la difficulté d'intervenir avec un point de vue différent des discours habituels sur les plateaux télé qui véhiculent les points de vue les moins nuancés.