"S'attaquer à la constitution de la Vème République, c'est le tabou suprême"
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Sans grande surprise, mercredi 4 décembre 2024, le gouvernement Barnier est tombé. Il aura duré trois mois et un jour, le plus court de la Vème République, renversé après que le premier ministre a dégainé l’article 49-3 de la constitution engageant sa responsabilité et celle de son gouvernement sur le budget de la sécurité sociale pour 2025. La motion de censure déposée par la coalition de gauche a été adoptée par 331 députés, bien loin des 288 voix nécessaires pour qu’elle passe, mettant fin à la vie du 45e gouvernement de la Vème République.
Pour tenter d'y voir plus clair, les médias ont trouvé leurs experts : les constitutionnalistes. Qui mieux qu'eux pour aider à comprendre le brouillard institutionnel ? Problème : sur les plateaux des chaînes d'infos pour quelques minutes seulement, ils sont bien plus souvent invités à prédire l'avenir politique ou à commenter la dernière actualité. Un gâchis pour un débat sur le futur de la Vème République qui n'a malheureusement pas lieu. Pourquoi ? Qu’est-ce qui empêche cette discussion ? Comment ces constitutionnalistes choisissent leurs interventions médiatiques ? Quelles lignes rouges dressent-ils ? En résumé, à quoi servent les constitutionnalistes dans les médias ? Pour y répondre, deux constitutionnalistes : Eugénie Mérieau, maîtresse de conférences en droit public à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne et Benjamin Morel, maître de conférences à l’université Paris Panthéon Assas et docteur en sciences politiques.
"La motion de censure a été présentée comme synonyme du chaos, alors qu'elle montre la bonne santé d'un régime parlementaire"
Avant le vote de la motion de censure à l'Assemblée nationale, l'élément de langage du gouvernement et de ses soutiens a été simple : ce sera nous ou le chaos. Pour la constitutionnaliste Eugénie Mérieau, "ce chantage au chaos est la marque de fabrique des tentations illlibérales, des régimes illibéraux. C'est toujours comme ça que sont présentées les choses pour maintenir la légitimité d'un gouvernement qui n'en a plus. On parle de la motion de censure comme étant le chaos, alors que c'est la procédure ordinaire et c'est surtout le mécanisme clé de la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée. Cela montre la bonne santé d'un régime parlementaire".
"Tous les enjeux sur comment les institutions ont été dévoyées par la pratique du politique ne sont pas abordés"
Les constitutionnalistes se retrouvent très souvent sur les plateaux à devoir commenter telle actualité politique sans mettre à profit leur expertise au service du public. Comme lorsque Benjamin Morel, invité des chaînes d'info, se voit demander son pronostic sur l'identité du successeur de Michel Barnier. Pour Eugénie Mérieau, au lieu de ces commentaires, on "aurait pu aborder la question du rôle du président et de ses rapports avec le premier ministre. Dans la constitution, on a une responsabilité du premier ministre devant l'Assemblée, pas devant le président. Or, depuis le général de gaulle, et cela a été très net avec Emmanuel Macron, on a ce qu'on appelle une responsabilité duale où le Premier ministre est responsable devant le président qu'il choisit discrétionnairement, sans prendre en compte l'Assemblée. C'est la raison pour laquelle il y a eu un certain nombre de violations de la lettre de la constitution comme quand il n'a pas présenté à l'investiture un certain nombre de premiers ministres (...) Tous les enjeux sur comment les institutions ont été dévoyées par la pratique du politique ne sont pas abordés".
"C'est très révélateur d'une vision qu'on a de la cinquième république"
"Que dites-vous aux Français qui vont souffrir de cette censure ?" Telle est la question posée sur France Info à Lucie Castets et Marine Tondelier. Pour Benjamin Morel, "c’est très révélateur d’une vision qu’on a de la Ve République où il faut un gouvernement. 'Comment avez-vous osé faire tomber le gouvernement, on a besoin d'un gouvernement'. Mais dans aucun pays du monde on ne reproche à l'opposition de voter une motion de censure. Si l'opposition ne vote pas une motion de censure, à quoi elle sert ?"
POUR ALLER PLUS LOIN
Eugénie Mérieau, "Le droit constitutionnel n'est pas une science exacte", AOC, juillet 2024
"Emmanuel Macron a-t-il déclaré que le Président ne devrait pas pouvoir rester s'il avait un désaveu en termes de majorité", Checknews, Libération, 30 août 2024
Marie-Anne Cohendet, "Sous la Vème République, un président terriblement puissant et complètement irresponsable", Mediapart, 4 septembre 2024