Révoltes urbaines : "Combien de Nahel n'ont pas été filmés ?"

La rédaction - - Silences & censures - Médias traditionnels - Déontologie - 111 commentaires


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Le 27 juin, Nahel, 17 ans, est mort tué par balle par un policier à Nanterre. Un mort de plus lors d'un "refus d'obtempérer" selon l'expression judiciaire consacrée. Rapidement, les médias ont fait ce qu'ils font à chaque fois : aligner les sources policières, les contre-vérités sur le profil de Nahel, et les spéculations. Mais la machine s'est enrayée grâce à une vidéo qui montre la scène en quelques secondes. On y entend un policier crier : "Tu vas prendre une balle dans la tête !", et le coup de feu partir alors que la voiture redémarre. Le policier est en détention provisoire, mis en examen pour homicide volontaire. 

Pourquoi autant de morts pendant des contrôles de police en France ? La question n'est jamais posée, ou presque, elle est pourtant centrale et les chiffres ont leur importance. Certains préfèreraient pourtant circonscrire le débat à une erreur individuelle, une "bavure" comme on disait avant. Mais la discussion s'est déjà déplacée depuis la mort de Nahel et ce qui se déroule un peu partout en France. Là aussi, les médias hésitent : "émeutes", "révolte", "affrontements", comment parler de ces scènes qui tournent en boucle sur nos téléphones et nos écrans de télévision ? Pour essayer de comprendre ce qui se joue depuis la mort de Nahel, nous recevons trois invités : Héléna Berkaoui, rédactrice en chef du Bondy Blog, Youmni Kezzouf, journaliste à Mediapart, et Ivan du Roy, cofondateur et corédacteur en chef du média en ligne Basta!.

Premier réflexe : criminaliser la victime…

Le processus est habituel, il n'en reste pas moins problématique. Dès la mort de Nahel, les médias se sont évertués à lui trouver des antécédents judiciaires, quitte à lui inventer un casier inexistant. "À chaque fois, c'est la même rengaine, on a une criminalisation de la victime. Mais je crois savoir que la peine de mort a été abolie en France", rappelle Héléna Berkaoui. Ivan du Roy abonde : "Quels que soient les fautes, les délits commis par le passé par la victime, la question qui se pose c'est : est-ce que le recours à la force létale est légitime ?"

...et les jeunes le savent très bien

On pense souvent que les jeunes ne regardent plus la télé et ne lisent plus les médias traditionnels, mais ils voient bien tout ce qui se dit de Nahel depuis sa mort. Héléna Berkaoui, qui les a rencontré·es, à recueilli leurs témoignages : "C'est une brutalité qu'ils ressentent. Les propos de Charlotte d'Ornellas et compagnie. Ils en rigolent presque. Mais ça touche."

Comment bien nommer les choses

Depuis la mort de Nahel, des révoltes éclatent partout en France. Comment bien en parler ? Héléna Berkaoui rejette en bloc le terme "émeutes". La rédactrice en chef du Bondy Blog le juge "animalisant" et "dépolitisant". Youmni Kezzouf ne l'utilise pas non plus, et confirme qu'il a, au contact des jeunes, ressenti "l'extrême politisation" de ce qui est en train de se passer, loin des analyses qui ne voudraient voir dans ces événements que des cassages ou des pillages.

Les risques d'aller sur le terrain

Faut-il envoyer des journalistes couvrir les révoltes nocturnes ? Au Bondy Blog, le choix est forcé par la sur-mobilisation policière, comme l'explique Héléna Berkaoui : "On a une rédaction qui est composée de jeunes journalistes, qui n'ont pas la carte de presse, et qui sont racisé·es. On ne va pas les envoyer au charbon alors qu'ils pourraient être interpellés." Pour Youmni Kezzouf, le risque est aussi du côté des manifestants, hautement méfiants à l'égard de la presse, ce qui demande des précautions : "Il est hors de question d'aller avec une caméra dans la cité Pablo Picasso de Nanterre. Les jeunes savent très bien comment on parle d'eux sur toutes les chaînes télé de France."

Pour aller plus loin 

- Les reportages du Bondy Blog à Clichy, Nanterre et dans les Hauts-de-Seine.
- Le reportage de Youmni Kezzouf à Nanterre et Clamart.
- L'enquête chiffrée de Basta! sur les victimes de tirs policiers.
- Notre décryptage des premiers errements médiatiques après la mort de Nahel.


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