Retraites : "Macron a pensé qu'il pouvait repartir comme en 40"

La rédaction - - 78 commentaires


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Autant le dire tout de suite : à quelques heures de la grande grève reconductible de la prochaine réforme des retraites, cette réforme est encore noyée dans le brouillard, d'autant plus que les intox volent dans tous les sens. Le gouvernement maintient-il ce brouillard à dessein, ou ne sait-il lui-même quelle réforme il souhaite faire ? Éléments de réponse avec Régis, membre du collectif Nos Retraites ; et Guillaume Duval, membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et éditorialiste pour Alternatives Economiques.

L'âge pivot, un cadeau "pour la base sociale de macron" ?

On commence par les éléments de la réforme lancés dans le débat médiatique ces derniers mois. L'âge pivot (partir à 64 ans à taux plein), préconisé par le rapport de Jean-Paul Delevoye. Sur la table, ou pas ? Difficile de savoir, tant le gouvernement semble se contredire lui-même. "Ça faisait plaisir à la base sociale de Macron,  analyse Guillaume Duval, mais ça mécontente en particulier la CFDT", car un système d'âge pivot bénéficie moins aux ouvriers, qui travaillent plus tôt. Pour Régis, l'âge pivot n'est pas "le cœur du projet" de la réforme. Le porte-parole du collectif Nos Retraites rappelle que depuis 2018, Delevoye et le gouvernement insistent sur le maintien d'une limite de financement des retraites à 14% du PIB.

Autre élément médiatique : la clause du grand-père, qui consisterait à n'appliquer la réforme qu'aux "nouveaux entrants" dans le marché du travail. Illustration pour Duval des tensions à l'intérieur de l'exécutif : Edouard Philippe, juppéiste historique, "n'a jamais voulu" la réforme systémique préconisée par Macron, préférant jouer sur les paramètres (comme l'âge de départ à la retraite) plutôt que sur le système. Pour Duval, la clause du grand-père est également la preuve d'une "erreur d'appréciation de Macron" : "Il a pensé après le Grand débat qu'il avait retourné l'opinion et qu'il pouvait repartir comme en 40"

Le point, outil magique pour baisser les pensions ?

Venons-en au cœur de la réforme voulue par Macron : le passage à un système de retraite à points. Le principe préconisé par Delevoye : pour 10€ cotisés, 1 point, qui vaudra à la "revente" 55 centimes de retraite annuelle. A la fin de sa carrière, le salarié "revend" tous les points accumulés. Pour François Fillon, la retraite à points "permet de baisser chaque année de baisser le montant des points et donc de diminuer le montant des pensions"Régis s'inquiète notamment du déclassement dont souffriront les nouveaux retraités, si la valeur du point baisse. 

Élément de langage du gouvernement, la réforme est présentée comme une réforme de "justice, d'équité et d'égalité". "Cette affaire de «1 point donne à tous les mêmes droits», c'est une conception de la justice qui a des résultats très injustes", dénonce Duval : le nouveau système prendrait en compte toute la carrière d'un salarié, y compris les années les plus difficiles (aujourd'hui, dans le privé, ce sont les 25 meilleures années qui sont prises en compte).

Agriculteurs, mères de famille : la com' du gouvernement sur les "gagnant.es"

Dans le viseur du gouvernement les "42 régimes spéciaux", qui disparaîtraient. Nos deux invités rappellent que 42, c'est le nombre de caisses de retraite, dont certaines sont des régimes spéciaux. Et que toutes n'ont pas la même importance. Il n'empêche pour Guillaume Duval que "le fait que les règles du jeu restent assez différentes fait qu'il y a des divisions entre salariés du public, du privé, etc.". Un seul régime unique ne serait donc pas, sur le principe, dommageable. 

Autre bienfait avancé par le gouvernement : relever le niveau de la retrait minimum à 1 000€, qui bénéficierait notamment aux agriculteurs. Guillaume Duval rappelle qu'il existe déjà un minimum retraite : "Ça ne coûte pas très cher en réalité d'aller à 1 000 euros". Régis dénonce un élément de "communication" pour "faire passer la réforme".

Autre élément de com' : les femmes. Les mères seraient les "gagnantes" de cette réforme. Régis en doute : la proposition de majoration de 5% par enfant dans le couple ne sera pas automatiquement au bénéfice de la mère, alors que les trimestres cotisés récupérés dans le cas de congés maternité notamment, tel que cela a lieu dans le système actuel, lui bénéficient entièrement. La pension de réversion ne sera plus non plus versée en cas de divorce. L'Institut de la protection sociale (IPS), évoqué dans l'article ci-dessous, calcule également que de nombreuses mères seraient perdantes avec le nouveau système. A noter que plusieurs membres du bureau du think tank font partie d'une entreprise de conseil qui vise à optimiser le recours dans les entreprises aux complémentaires santé et retraite.

"confusion organisée" où flou gouvernemental ?

Dernier acteur autour de cette réforme : le Conseil d'orientation pour les retraites (COR), qui dépend du premier ministre, et a rendu un rapport le 21 novembre dernier. "Ce que dit le COR, c'est qu'il n'y a aucune explosion des dépenses des retraites", résume Duval. Le déficit n'existe que parce qu'il y a eu des "exonérations supplémentaires" décidées par le gouvernement (notamment sur les heures supplémentaires) mais aussi parce que le COR "anticipe la baisse de l'emploi public prévue par le gouvernement", sachant que le public cotise plus que le privé. "Ce qu'il faut comprendre [avec ce rapport] c'est que les 3 millions de gens qui partent à la retraite avant 2025, c'est eux qui vont devoir passer à l'ardoise", insiste Régis.

Pour le porte-parole de Nos Retraites, "la confusion est organisée" dans la communication du gouvernement, qui n'a pas rendu publics les chiffres de ses simulations utilisées dans le rapport Delevoye. Duval analyse la situation différemment : "Je pense qu'ils ne savent pas vraiment où ils veulent aller, et comment".

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