Retraites : avec les violences, "Macron joue un jeu dangereux"

La rédaction - - Médias traditionnels - 113 commentaires


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Après deux mois de mobilisation, nous avons voulu donner la parole à des opposants de la réforme des retraites, en première ligne sur les plateaux télés : comment ces acteurs de la mobilisation analysent la couverture médiatique du mouvement social ? De quelle manière décident-ils de prendre la parole dans les médias et sur quels critères ? Quel regard portent-ils sur le récit médiatique et politique de la contestation ? Trois acteurs de la contestation ont accepté notre invitation : Sophie Binet, secrétaire générale du syndicat CGT Cadres Techniciens, membre de la commission exécutive de la confédération en charge de l’égalité Femmes-Hommes, Ibrahim Sidibé, éboueur Pizzorno Environnement, délégué CGT à Vitry-sur-Seine et Colin Champion, étudiant en prépa, président du syndicat "La Voix lycéenne".

"personne ne va filmer LES POUBELLES dans les quartiers populaires !"

C'est une des grèves les plus visibles médiatiquement, celle des éboueurs, "la grève des poubelles", comme a pu la nommer BFMTV. Pour Sophie Binet, si on en a autant parlé c'est aussi parce que "c'est une grève qui dérange les beaux quartiers ! Quand Jacques Chirac a privatisé la collecte des poubelles (en 1986, ndlr), il n'a pas privatisé l'ensemble, il a gardé la moitié sous régie publique, rappelle-t-elle. Ce qu'il a gardé en régie publique, c'est plutôt les beaux quartiers. S'il y avait eu cette même grève dans l'Est parisien ou dans le 93, on en aurait moins parlé". Une analyse que partage Ibrahim Sidibé. "Avant, j'habitais dans le 20ème arrondissement, qui est lui aussi collecté par la ville de Paris. Personne ne va filmer à porte de Bagnolet alors qu'ils croulent eux aussi sous les poubelles !"

GRèVE DES éBOUEURS et "mépris de classe"

Cette ultra-couverture médiatique de la grève des éboueurs amène les éditorialistes à remplir le flux des chaînes d'information. Comme lorsque le 14 mars 2023, le journaliste Christophe Barbier, sur le plateau de BFMTV, ose expliquer aux éboueurs eux-mêmes que l'image qu'ils dépeignent de leur métier est bien trop sombre. "Il y a toute une gamme de métiers !, croit savoir l'éditorialiste. On peut conduire les véhicules qui arrosent et nettoient les trottoirs. On ne fait pas que soulever des poubelles lourdes toute sa vie, on passe aussi au ramassage des feuilles mortes avec une machine qui souffle. Il y a une évolution possible dans les métiers pour éviter que les gens soient cassés", affirme-t-il, plein d'audace. Sur notre plateau, Ibrahim Sidibé lui rappelle les réalités du métier. "La souffleuse pèse dix kilos, je l'ai portée pendant deux ans. Et elle chauffe avec un moteur présent sur votre dos. Vous marchez toute la journée avec, vous allez faire au minimum dix kilomètres à pied pour souffler les trottoirs. Pendant l'été, vous avez toute la poussière qui vient sur votre visage. Ce monsieur parle de choses qu'il ne connait pas". "Un mépris de classe", résume Sophie Binet.

"Si Manès n'est pas disponible, les médias annulent l'interview"

Sa première apparition sur BFMTV fin janvier 2023, en duplex depuis le blocage du lycée Voltaire à Paris, a été vue plus d'1,5 million de fois. De là, les sollicitations médiatiques pour Manès Nadel, 15 ans, n'ont cessé de pleuvoir. "Un des éléments déclencheurs a eu lieu avec ce qu'a fait Quotidien, analyse Colin Champion. Ils ont cette volonté de personnaliser les choses, de faire émerger des figures. On y voit un aspect positif car ça rend visible notre mouvement, l'organisation et le travail qu'on fait, mais il y a aussi un danger car ils sont beaucoup sur ce qui fait le buzz et pas toujours sur des sujets de fond". Alors, que faire pour éviter la personnalisation du mouvement et la surexposition ? "On essaye autant que possible de faire intervenir des camarades de tous les profils. (...) Mais par exemple pour Manès, les médias veulent que ce soit lui qui réponde. Si Manès ne le souhaite pas ou s'il n'est pas disponible, ils annulent l'interview".

"Vous savez ce qu'est l'économie ?"

Le 8 mars 2023 Sophie Binet est invitée sur le plateau d'Yves Calvi sur BFMTV. Elle y défend l'idée d'une égalité salariale effective qui financerait le déficit invoqué par le gouvernement pour justifier sa réforme. "Vous savez ce qu'est l'économie ?", lui demande en tout condescendance sexiste l'économiste Élie Cohen. Pour Sophie Binet, malgré le choc sur le moment, "cette séquence est très utile car elle a été une forme de "bas les masques", de révélateur. Pourquoi il n'y a pas l'égalité salariale ? Parce que des gens ne la veulent pas du tout et font barrage de façon extrêmement violente. Ces gens, ce sont le capital au sens large, le patronat et ses alliés qui ne veulent pas payer plus les femmes".

POUR ALLER PLUS LOIN

- L'émission de Mediapart, "Face aux violences policières, la colère est d'autant plus forte", datée du 22 mars 2023.
- "Montrer la pénibilité : le parcours professionnel des éboueurs", article de Serge Volkoff paru en 2006 dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales.
- "France Is Furious", l'éditorial du New York Times du 24 mars 2023.
- Une journée avec BFMTV dans les ordures, notre article daté du 15 mars 2023.


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