Réouverture des écoles : "Le 11 mai, je n'irai pas !"
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Retourner à l'école ? Evidemment ! Maternelle, primaire, collège, lycée ! Mais dans quelles conditions, à quels risque, et qui doit assumer ces risques ? Redoutable question qui se pose aux parents et aux enseignants, de l'obéissance ou non aux consignes, même si ces consignes sont floues ou contradictoires, selon qu'on écoute Emmanuel Macron, Edouard Philippe ou Jean-Michel Blanquer. Question posée à nos deux invités : Fanny Le Nevez, institutrice en maternelle à Fresnes (Val-de-Marne), autrice d'un article de blog sur Mediapart, "Sans moi le 11 mai" ; et Olivier Vincent, professeur en lycée professionnel à Marseille.
Ecole confinée : gérer au mieux
Au début du confinement, Fanny Le Nevez a créé avec une collègue institutrice une chaîne Youtube, Maîtresse Fanny, pour conseiller des activités, et donner des leçons d'apprentissage : elle y explique comment faire des maths avec des boîtes d'œufs vides, sa collègue montre comment faire des masques à la maison. Très rapidement, il a fallu mettre en place des nouveaux modes d'enseignement. "On s'est dit que les outils institutionnels ne tiendraient probablement pas la charge"
. A la place des blogs, des chaînes YouTube...
Olivier Vincent insiste sur le rôle social des professeurs en confinement, particulièrement dans un lycée professionnel : il faut garder le lien avec des élèves qui ne répondent parfois plus, dans des situations familiales compliquées.
"Le 11 mai, je n'irai pas"
Pour préparer cette rentrée, Jean-Michel Blanquer a multiplié les annonces, souvent floues. Un projet de protocole sanitaire a été diffusé dans les médias ce 30 avril. Voyant s'approcher l'échéance, Le Nevez a écrit un texte publié sur les blogs de Mediapart
, "sans moi le 11 mai"
. "Je ne peux pas me projeter dans les conditions actuelles qui nous sont présentées"
, affirme-t-elle. La "distanciation sociale" demandée semble impossible à imposer à des enfants de 3 à 5 ans. "On porte une culpabilité vis-à-vis des personnels soignants, qui y sont allés sans se poser de questions"
. Pour autant, insiste Le Nevez, "ce qu'on a demandé aux soignants c'est de sauver des vies. Ce qu'on nous demande, nous, c'est de ne plus pouvoir faire notre métier d'enseignant et en plus de porter la responsabilité et éventuellement la culpabilité de contaminer des enfants, des familles"
.
Olivier Vincent se demande quelle est la"plus-value pédagogique"
d'un retour en classe pour quelques semaines. Pour le professeur, il faudrait plutôt utiliser ce temps pour préparer la rentrée de septembre : préparer les élèves, former les enseignants à de nouveaux outils. Il s'inquiète aussi de la "souffrance psychologique"
de ses élèves. "Tous les élèves que j'ai sondés me font part de leur peur"
. "Est-ce qu'on va avoir des équipes de psychologues ?"
, s'interroge Le Nevez.
"Qu'est-ce qu'on fait avec les enfants ?"
Certaines écoles organisent l'espace pour la réouverture des écoles. Mais en maternelle, "les enfants circulent en permanence"
dans la classe, rappelle Le Nevez. "Qu'est-ce qu'on va faire avec les enfants ?"
, se demande-t-elle. "Ce qu'on aimerait, c'est un discours ministériel cohérent avec la réalité du terrain"
, demande Olivier Vincent : "Le contexte de précaution doit s'appliquer en période de pandémie."
A la place, Le Nevez voit surtout de la "précipitation"
du côté du gouvernement.
La reprise de l'école repose sur le volontariat des parents. Des "injonctions odieuses"
pour Jean-Luc Mélenchon. Une accusation "très juste"
pour Olivier Vincent qui dénonce un "transfert de responsabilité"
vers les parents, générateur d'angoisse pour eux : "On leur demande de choisir entre la scolarité de leurs enfants et la santé de leurs enfants."
Et ce seront les familles populaires, dans lesquelles les parents sont obligés de retourner travailler, qui paieront le prix de ce "volontariat". Certains maires, dont dépendent les primaires et maternelles, ont pourtant fait savoir qu'ils s'opposent à la date du 11 mai.
Outre les injonctions gouvernementales, les leçons de morale des commentateurs télévisés. A l'exemple de Pascal Praud. "Y a un moment, il faut y aller, le 11 mai"
, enjoignait-il, sur CNews. Une vraie "caricature"
reprenant tous les clichés sur le métier d'enseignant, s'agace Olivier Vincent. "Qu'il vienne dans nos écoles, pour voir comment ça va se passer !"
, rétorque Le Nevez.
"Qu'est-ce que c'est, l'école ?"
On termine par la chronique de Laélia Véron, qui revient sur les multiples injonctions contradictoires faites aux professeurs : être dans la continuité pédagogique, mais innover ; dire qu'"on arrivera à gérer"
tout en ayant besoin de "dénoncer la situation"
pour rappeler qu'il y a danger. Par exemple, lorsque Daniel Schneidermann vante les "solutions innovantes et créatives"
de Fanny Le Nevez, Laélia y voit un danger : "J'ai l'impression qu'on me vante les formations de Microsoft pour l'enseignement à distance."
La discussion s'engage entre notre chroniqueuse et les deux invités. "L'institution nous demande depuis longtemps de faire mieux avec moins"
, abonde Le Nevez, qui craint la "récupération"
par l'institution d'initiatives personnelles pour justifier une réduction de personnel ou de moyens. Pour l'institutrice, ce moment remet au centre une question essentielle : "Qu'est-ce que c'est l'école, qu'est-ce qu'on en fait ?"