Reconfinement : "Le seul moyen d'éviter une vague de morts"

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Six mois après un premier confinement, les Français sont de nouveau sommés de rester chez eux pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. Pourtant, des élus, des chroniqueurs de télévision, des médecins s'y opposent : ce nouveau confinement est bien moins accepté que le premier. Le confinement est-il un outil efficace pour combattre l'épidémie au stade actuel en France ? C'est le débat de cette émission avec Christian Lehmann, médecin généraliste dans les Yvelines, chroniqueur dans Libération et chaud partisan des mesures de distanciation sociale. Face à lui, Laurent Mucchielli, sociologue et chercheur au CNRS, auteur d’une tribune parue sur le site de la revue Regards et intitulée : "Le confinement, un remède pire que le mal ?"

Laurent Mucchielli commence par expliquer pourquoi il a décidé de s'intéresser à l'épidémie de Covid-19, lui qui était connu pour son travail sur les questions de sécurité publique : "Ce qui m'a poussé, c'est juste de faire mon métier d'intellectuel. (...) Au départ, j'étais en pays étranger, ce qui m'a demandé énormément de travail pour me mettre un minimum à niveau." Mucchielli s'est entouré d'une équipe d'une quinzaine de personnes, dont plus de la moitié sont médecins. 

Pour lancer le débat, Paul Aveline fait un rappel chiffré de la progression de l’épidémie au 5 novembre 2020. Un bilan qui s’appuie sur les données de l’Agence de santé publique : "Santé Publique France recense 40.558 nouveaux cas en une journée, 18.866 nouvelles hospitalisations en une semaine, dont 2.884 dans un service de réanimation. Pour ce qui est des morts, Santé publique France a recensé 394 (hors Ephad) décès supplémentaires en 24 heures. Au plus fort de l’épidémie, en avril, on comptait jusqu’à 42.000 nouveaux cas quotidiens, 20.000 hospitalisations et 607 décès quotidiens. Et enfin un dernier chiffre, celui du R0 ("R zéro"), qui indique le nombre de personnes qu’un individu porteur du Covid-19 contamine en moyenne. Si le R est égal à 0, le virus ne circule pas, s’il est égal à 1, cela veut dire qu’une personne porteuse du virus en contamine en moyenne une autre. Il est aujourd’hui égal à 1,4. Au plus fort de l’épidémie à la fin du mois de mars, il était égal à 3,4."

LA FRANCE EST-ELLE SUBMERGÉE PAR UNE DEUXIÈME VAGUE ?

On diffuse ensuite un extrait de l’allocution d’Emmanuel Macron du 28 octobre 2020 dans laquelle il annonçait un deuxième confinement sur l’ensemble du territoire. Il y explique que "le nombre de contaminations rapporté à la population a doublé en moins de deux semaines" et que "plus de la moitié" des lits de réanimation dont dispose la France étaient occupés. La France est-elle alors dans une deuxième vague ? C’est la première question du débat, posée à Laurent Mucchielli : "Nous on pense que c’est une hypothèse, et toutes les hypothèses sont légitimes, mais ce n’est pas l’hypothèse que l’on fait. On appelle à la prudence pour deux raisons fondamentales. La première, c’est qu’à partir du moment où on teste tout le monde d’une part, et à partir du moment ou d’autres pathologies ont régressé comme la grippe, on pense que, comme le montrent plusieurs études notamment en Angleterre, on a tendance à étiqueter «Covid» des gens qui viennent mourir à l’hôpital pour autre chose." Interrogé sur ce point, Christian Lehmann répond de manière virulente en qualifiant le discours de Mucchielli de "négationniste". Le médecin reproche à Laurent Mucchielli d'avoir depuis mai défendu la thèse de Didier Raoult selon laquelle "l’épidémie est finie, il n’y a pas d’éléments scientifiques pour un rebond, et en Europe le phénomène est quasiment terminé." Pour Lehmann, "on est complètement submergé" par la deuxième vague . Après avoir menacé de quitter le débat s’il était à nouveau insulté, Laurent Mucchielli explique "qu’une étude anglaise chiffre à 30%" le nombre de patients hospitalisés étiquetés "Covid" alors qu’ils sont à l’hôpital pour d’autres pathologies [contrairement à ce que suggère M. Mucchielli dans notre émission, cette étude n'est pas parue dans une revue scientifique, voir encadré au bas de cet article].

Daniel Schneidermann demande ensuite à Mucchielli si d’autres éléments lui permettent de remettre en doute l’existence d’une deuxième vague. "Le deuxième élément, c’est que les maladies ont une saisonnalité. La mortalité a une saisonnalité. Chaque année, vous avez un pic en hiver suivi d’une décroissante. En été vous êtes au plus bas, à une exception près, les pics climatiques, les pics de canicule. Ensuite il y a systématiquement chaque année une remontée à l’automne". Encore une fois, Lehmann n’est pas d’accord : "Oui les gens meurent plus quand il fait froid, mais ça fait 37 ans que je suis médecin, je n’ai jamais vu déprogrammer des soins (...), je n’ai jamais vu de mémoire, sauf peut-être en 2003 pendant la canicule, des patinoires transformées en morgue. Je n’ai jamais vu mon hôpital louer des camions frigorifiques."

Laurent Mucchielli est interrogé sur les raisons qui pousseraient le gouvernement à surestimer le nombre de patients atteints du Covid. "Je n’en sais rien ! Je ne cherche pas à démontrer une quelconque intentionnalité du gouvernement, je ne suis pas dans la tête des gens, je ne fais pas de procès d’intention". Pour lui, le premier confinement est le résultat d’une retard sur les politiques de prévention et d’un manque de matériel, et d’un effet de mimétisme sur les voisins européens comme l’Italie ou l’Espagne qui ont elles aussi confiné leurs populations.

LE CONFINEMENT, "SEUL MOYEN" DE CONTENIR UNE DEUXIÈME VAGUE ?

Le 29 octobre, Muchielli publie une tribune dans la revue de gauche Regards, sous le titre : "Le confinement constitue un remède pire que le mal pour la société française". Nous l’avions évoquée ici, alors que d’autres personnalités comme Isabelle Saporta, Alexandre Jardin ou Yann Moix prenaient position contre le confinement, appelant à la désobéissance civile. Un montage est diffusé sur le plateau. Avant de se prononcer sur l’opportunité d’un deuxième confinement, Lehmann rappelle qu’il a tenté de l’empêcher : "Je l’ai combattu pendant tout l’été, pour que ça n’arrive pas." Selon lui, le premier confinement était "nécessaire" pour éviter la submersion du système hospitalier français. En réaction aux personnalités publiques qui s’opposent au confinement, le médecin lance : "Charles Consigny, Alexandre Jardin, c’est des individualistes toxiques qui s’intéressent uniquement à leur cul. (...) L’important c’est qu’Alexandre Jardin puisse jouer à D’Artagnan pendant que nous on va mettre des gens dans des sacs plastique."

L’alternative au confinement généralisé n’était-elle pas de ne confiner que les personnes à risques, c’est-à-dire les personnes âgées, ou les personnes avec des comorbidités (obésité, maladies respiratoires etc.) ? "Il y a d’autres façons de protéger les personnes très à risque sans pour autant que ce soit un confinement général", juge Mucchielli. Interrogé sur ces alternatives, Mucchielli "n’envisage rien" et confirme qu’il n’est "pas ministre de la Santé". "Pour l’instant mon travail c’est du diagnostic, pas de la préconisation". De son côté, Lehmann rappelle que les patients moins âgés souffrent aussi de séquelles respiratoires graves dues au Covid-19, et que confiner les personnes âgées reviendrait à confiner aussi toutes les personnes qui les accompagnent au quotidien. Et les coûts du confinement en matière de santé mentale, de pauvreté, de lien social ? "Bien sûr qu’il y a des dégâts psychologiques, c’est difficile pour tout le monde." Pour le médecin, le gouvernement a oublié de s’attaquer à ce problème, ne se concentrant que sur "comment permettre au citoyen d’aller acheter à bouffer". 

William Dab, ancien directeur général de la Santé, apparaît sur l'écran. Il déclarait sur BFMTV que les enfants, puisqu'ils fréquentent l'école tous les jours, devraient désormais porter le masque même à la maison, et si nécessaire, ne plus manger à la même table que leurs parents. Appelé à réagir sur ces consignes, et les incohérences qui émaillent ce deuxième confinement, Lehmann réagit : "Je pense que le confinement est le seul moyen d’éviter une vague de morts. Mais le protocole sanitaire à l’école est incohérent, totalement". Et d’ajouter : "Entendre William Dab dire ce truc aberrant sur le plan humain : «Il faut que vos gosses aillent à l’école, même dans des conditions dégradées, pour que vous puissiez aller travailler. Mais quand vous serez rentrés de votre travail, vous n’embrasserez pas vos enfants, vous ne les prendrez pas dans vos bras, ils garderont un masque et ils mangeront loin de vous.» On est arrivé à un niveau de délire qui est assez difficile à soutenir." Mais le médecin confirme qu’aujourd’hui et selon lui, le confinement est la seule solution : "Au stade où on en est, les demi-mesures de confinement light du style «vous allez bosser, vous prenez les transports mais vos enfants gardent un masque à la maison», c’est n’importe quoi!"

Pour conclure, Daniel Scheidermann diffuse la grosse colère d’Olivier Véran à l’Assemblée nationale. Le ministre de la Santé invitait les députés de l’opposition à "sortir" de l’hémicycle, les jugeant irresponsables face à la situation sanitaire. Dérive autoritaire d’un ministre ? Le pouvoir de décision est-il trop central ? Une séquence sur laquelle Mucchielli n’a "pas grand chose à dire". N'écrit-il pas pourtant que la démocratie est "mise sous cloche" par le confinement ? Le chercheur confirme que pour lui, le confinement pose un problème de bon fonctionnement de la démocratie avec "un parlement qui ne peut pas faire son travail de parlement, une justice mise à l’arrêt et une presse qui ne fait pas son travail d’investigation." Conclusion pour Mucchielli : "Il n’y a plus qu’un seul pouvoir, et c’est le pouvoir exécutif." Sur la colère de Véran, Lehmann juge le discours du ministre "extrêmement maladroit". Le mot de la fin revient au généraliste qui estime qu’"on est dans une deuxième vague, et on va voir nos hôpitaux submergés". Et de conclure : "Ce que nous voyons, je ne l’ai jamais vu en 37 ans, ça n’est jamais arrivé."

UNE ÉTUDE NON-VÉRIFIÉE

L'étude britannique sur les "30% de décès faussement attribués au Covid-19", citée par Laurent Mucchielli comme fiable, n'est en fait pas parue dans une revue scientifique, et n'a pas été "révisée par des pairs", ainsi que le mentionne une note de bas de page. L'Office for National Statistics (ONS) a par ailleurs récemment spécifié que "dans la plupart des cas (92 % en Angleterre et 89.7% au Pays de Galles) où le Covid-19 est mentionné sur le certificat de décès, il est prouvé que le virus est en effet la cause principale du décès". 

E.W.



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