L'Obs et #MeToo : "Chacun voit ce qu'il veut dans une image"

La rédaction - - Médias traditionnels - 70 commentaires


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C'est la photo d'un homme dans une cuisine avec un chien et des fleurs fanées. Une photo qui a déclenché une mini tempête au cœur de l'été dans certains cercles féministes car elle était en Une d'un magazine : L'Obs. Mais dans cette photo, beaucoup de spectatrices et de spectateurs ont vu autre chose que ce que le photographe avait souhaité y mettre. L'occasion pour nous de plonger aux sources des malentendus qui peuvent naître des photos et de leur utilisation. Pour en débattre l'auteur de cette fameuse photo Hervé Lassïnce, artiste photographe, Xavier Lucas, directeur artistique adjoint à L'Obs, ainsi que notre chroniqueur André Gunthert.

La Une polémique de L'Obs 

On commence avec la Une de L'Obs paru le 2 août et intitulée "Etre un homme après MeToo". La veille de la parution de ce numéro d'été, L'Obs assure la promotion sur Twitter.

Ce tweet promotionnel a aussitôt déclenché une polémique notamment du côté des féministes, comme nous l'avions relaté dans un article. "J'ai lu toutes les réactions et j'ai été fasciné, confie l'auteur de la photo de couverture. Mais je pense que les gens qui ont réagi sur cette Une ignoraient que la photo préexistait au dossier lui-même. C'est une photo que j'ai faite dans mon coin,  pas du tout un cliché avec une mise en scène comme il se fait parfois." Elle a pourtant fait l'objet "d'un spectre d'interprétation" très vaste que détaille le photographe. "Or, je fais les photos instinctivement sur l'instant et là, j'étais chez un ami à Paris", recontextualise le photographe. "J'aime cette incongruité du bonhomme dans sa cuisine avec son chien qui le regarde de façon énamouré, mais visiblement des gens ont trouvé que c'est un pauvre gars, à la ramasse, que sa femme vient de quitter." Xavier Lucas, directeur artistique à L'Obs, s'est dit "surpris" par cette déferlante sur Twitter :  "Mais on n'était pas assez naïfs pour croire que parler d'un sujet comme celui-ci, onze mois après le mouvement MeToo n'entraînerait pas de remous, c'est impossible." Il précise que la couverture n'a pas fait l'objet de débat au sein de la rédaction de L'Obs. En revanche, les échanges ont été "vifs" sur le contenu du dossier. Notre chroniqueur André Gunthert évoque la rareté de cette couverture "C'est assez rare d'avoir une photo d'art en Une d'un magazine, souligne-t-il. Et l'élément qui va alimenter cet exercice de lecture et d'interprétation, c'est évidemment le contexte de la dimension féministe et l'histoire dans laquelle elle s'inscrit."

Le Punctum de Roland Barthes

On passe à l'analyse du "punctum" à partir d'un cliché du photographe William Klein. On l'aperçoit au second plan sur l'image ci-dessous : un pistolet est braqué sur un enfant, au large sourire.

Il s'agit d'un reportage réalisé par Klein en 1955 dans les rues de New York. "L'élément à lire sur cette image c'est le pistolet, souligne Gunthert. Mais Roland Barthes, célèbre sémiologue, explique que ce qui le frappe sur ce cliché, ce sont les mauvaises dents du petit garçon. Ce qui signifie que face à une image, chacun y voit ce qu'il veut. C'est ce que nous dit le punctum." Autrement dit, "la bonne explication du punctum, c'est la projection du spectateur".

Michelle Obama représentée en esclave, à demi dénudée

Autre Une polémique : celle du magazine espagnol Fuera de Serie, supplément du journal économique L'Expansiõn. En 2012, au lieu d'utiliser un portrait classique, le magazine décide de représenter l'ex première dame des Etats-Unis en esclave, le corps à moitié dénudé, un drapeau américain noué autour de la taille.

Plusieurs médias (Huffington Post ou encore Slate) ont relayé la voix des Afro Américains dénonçant cette Une "raciste". Nos invités découvrent cette couverture, avec incompréhension. D'où vient cette image ? Elle a été réalisée par une artiste franco-britannique, en référence au tableau conservé au Louvre Portrait d'une négresse. Peint en 1800 par l'artiste peintre Marie-Gullemine Benoist, il est considéré comme une oeuvre célébrant la fin de l'esclavage. Mais pour Lucas, le magazine a cherché à provoquer "un scandale". "Tout est raté" dans cette couverture, renchérit Lassïnce. "Cette image réveille un imaginaire extrêmement massif, analyse Gunthert. Cela étant dit de nombreuses couvertures avec les Obama ont posé des problèmes justement parce qu'il y avait toujours un jeu d'allusion au colonialisme et au racisme."

Twitter un allié ou un adversaire ?

Pour un média traditionnel qui cherche à faire connaître sa production, Twitter est "un allié", estime Lucas. "Mais qui peut-être dangereux, ajoute-t-il. Tout ce qu'on a pu dire sur cette couverture, c'est absolument faux, L'Obs n'est ni macho, ni homophobe, donc les insultes ont libre court, c'est ce qu'on regrette." Et Gunthert de réagir : "C'est curieux de dire : on veut susciter le débat et quand il est là, il ne vous convient pas, s'insurge-t-il. Le débat, il faut le mener, il est toujours intéressant, vous pensez que Rousseau et Voltaire n' étaient pas en train de s'insulter sur la place publique ? Habermas nous décrit l'espace public c'est-à-dire le lieu de formation de l'opinion publique au 18 ème siècle avant la révolution française, ça se passait entre les philosophes, à coup de bouquins et d'articles, c'était chaud aussi."  Pour notre chroniqueur, Twitter est "un outil formidable", il ne faut pas "s'arrêter aux insultes, c'est-à-dire l'écume des choses".

Précision : Sur le plateau Xavier Lucas a affirmé que la journaliste Rokhaya Diallo avait appelé à "interdire" la publication du numéro de L'Obsintitulé "Etre un homme après MeToo". Après vérification, ces allégations ne sont pas exactes. Diallo a réagi à un tweet d'une internaute qui a extrait une citation contenue dans le dossier de L'ObsCette citation, la voici, nous l'avons nous-même évoquée sur le plateau. "L'égalité croissante des femmes, la remise en question du pouvoir masculin et des modèles de l'hétérosexualité, sont source de malaise dans notre civilisation, à l'origine de mouvements réactionnaires, voire terroriste comme celui des incels. Les femmes seraient bien avisées d'en prendre note." Réaction de Diallo à la découverte de cette citation :


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