"L'Arcom ne traite pas de l'influence des milliardaires sur les médias"

La rédaction - - Médias traditionnels - 32 commentaires


La décision est donc tombée : l'Arcom, l'Autorité indépendante de régulation de l'audiovisuel français, a annoncé ce mercredi 24 juillet que C8 ne détiendrait plus de fréquence sur la TNT gratuite. La chaîne de Vincent Bolloré, où Cyril Hanouna trône en majesté, cessera donc d'émettre sur le canal 8 de votre télévision en février 2025. La faute à des années de laisser faire après des sanctions du régulateur de plus de 7 millions d'euros cumulés, du jamais vu dans l'histoire de l'audiovisuel français.

Devant les manquements répétés de l'émission de Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste !, l'Arcom était sous pression constante : de la part des médias qui enquêtent sur l'ogre Bolloré, de la part d'un certain nombre de politiques (à gauche quasi-exclusivement) fustigeant une forme d'impunité, et de la part d'une partie de l'opinion publique. 

Mais comment interpréter cette décision très forte alors que la chaîne-sœur de C8, CNews, qui a fait campagne pour l'extrême droite du Rassemblement national durant les législatives de juillet 2024, après avoir mis sur orbite politique Éric Zemmour lors de la présidentielle de 2022, a, elle, été retenue pour une nouvelle attribution d'une fréquence gratuite pour 10 ans ? Comment expliquer ces deux positionnements ? Qu'attendre désormais de l'Arcom après cette étape majeure ? A-t-elle décidé enfin de ne plus avoir la main qui tremble face à l'empire monstrueux de Bolloré ?  Quelle sera la stratégie de Canal + ? 

Pour y répondre, Arrêt sur images reçoit trois invités : Arnaud Froger, responsable de l'investigation à Reporters sans frontières ; Alexis Lévrier, historien des médias ; et Aurélien Saintoul, député LFI des Hauts-de-Seine et ancien rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur l'attribution des fréquences TNT.

"L'Arcom a été extrêmement modérée ces dernières années"

C'est Françoise Laborde, ancienne membre de l'Arcom lorsqu'il s'appelait encore Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui a pris la parole pour la première fois sur l'antenne de CNews pour s'indigner de la décision du régulateur de l'audiovisuel sur C8. Elle y dénonce "le fait du prince" et des conséquences désastreuses sur les salarié·es de la chaîne. "«Le fait du prince», ça veut dire quoi ? Quel prince ?", s'étonne Arnaud Froger. "L'Arcom a été extrêmement modérée ces dernières années, sans doute pas assez intervenante et sans doute ne jouant pas son rôle assez fort pour obtenir une régulation décente." Selon lui, le propos de Laborde fait écho à des théories complotistes, à l'idée d'"état profond" : "On entend aussi du chantage. Cela a été le cas lors des auditions devant la commission d'enquête, avec un chantage de Canal+ sur le cinéma français. Là, c'est un chantage sur les conséquences sociales. Mais il y a d'autres propositions qui ont été faites."

Argument de la liberté d'expression : "Il y a une profonde malhonneté de CNews"

Pour contester la décision de l'Arcom, CNews s'indigne du non-respect de la liberté d'expression. Pour Arnaud Froger, "il y a une profonde malhonnêteté dans la présentation de cet argument. On n'a jamais autant entendu ces voix, puisque le groupe Bolloré s'est largement élargi en faisant l'acquisition d'un certain nombre de médias. Ils parlent partout." Il ajoute que "la liberté d'expression ce n'est pas la liberté de raconter tout et n'importe quoi" : "Lorsque vous êtes condamné, à de multiples reprises, pour des propos relevant de l'incitation à la haine et à des propos racistes, que vous associez les immigrés à des punaises de lit, cela tombe sous le coup de la loi. Défendre la liberté d'expression, ce n'est pas défendre la liberté de n'importe quoi. Vous êtes dans un manquement de droit à l'information des citoyens."

Quentin Bataillon "s'est prosterné" devant Cyril Hanouna

Selon Alexis Lévrier, l'Arcom est aujourd'hui "réputée pour être une instance indépendante", qui a su ériger ses propres règles, sa propre culture pour réguler l'audiovisuel - une culture "sans doute trop modérée", mais reconnue pour son sérieux. Ce qui pêche, selon l'historien, c'est le "pouvoir politique". Si Aurélien Saintoul explique avoir "tenté de faire le travail" au sein de la commission d'enquête parlementaire sur l'attribution des fréquences TNT, le président de la même commission a, lui, fait le jeu des médias Bolloré. Il s'agit de Quentin Bataillon, ex-député macroniste. Il a en effet accepté l'invitation de Cyril Hanouna sur le plateau de TPMP, où il a appelé sa propre commission à "sortir de la chasse aux sorcières, de la chasse aux animateurs, aux journalistes, aux chaînes". Pour Alexis Lévrier, le député l'a payé lors des dernières élections législatives : "Il a terminé troisième dans sa circonscription. Il n'a même pas été au deuxième tour. Tout ce qui lui reste, c'est le tee-shirt qu'on lui a donné chez Hanouna." Voilà ce qu'il se passe pour les politiques qui "se couchent devant Bolloré" au mépris du vote des électeur·ices, estime-t-il.

POUR ALLER PLUS LOIN

- "En sanctionnant C8, l'Arcom sort de la prudence et de la naïveté", Le Monde, 25 juillet 2024

"Benoît Huet : la décision de l'Arcom reste extrêmement timide", Libération, 24 juillet 2024

"C8 : le grand trépassement", Les Jours, 24 juillet 2024

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