Lampedusa : "Les médias ont une responsabilité énorme"

La rédaction - - Médias traditionnels - Déontologie - 89 commentaires


"La France n'accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa, sauf les réfugiés politiques." La phrase est signée du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, alors qu'environ 8 000 personnes venues majoritairement d'Afrique du Nord ont débarqué sur l'île italienne en une semaine. Depuis, l'Europe se renvoie la balle, et les médias traitent l'événement comme une crise. Mais l'arrivée de 8 000 personnes est-elle seulement une crise ? Crise politique en tout cas, dont profite l'extrême droite, bien aidée par les chaînes d'info qui lui laissent micro ouvert pour développer sa rhétorique de l'invasion. Rhétorique guerrière qui se normalise et se banalise. Poussée par l'usage des sondages, qui donnent, en apparence, les Français majoritairement opposés à l'accueil. Quand traitera-t-on enfin correctement des questions migratoires ? Que faire pour renverser la discussion ? 

Nous recevons cette semaine Julia Montfort, journaliste indépendante, autrice de Carnets de solidarité (Payot, 2020) ; Kimberley Zambrano Lestieux, journaliste et responsable de l'éducation aux médias et à l'information chez Guiti News, média coproduit avec des journalistes étranger·es exilé·es en France ; Antoine Laurent, sauveteur en mer et auteur de Journal de bord de l'Aquarius (Kero, 2021).

Un sondage tendancieux

Selon un sondage commandé par BFMTV, une majorité de Français·es serait réticente à accueillir "les migrants qui sont à Lampedusa". Une question qui n'a pas beaucoup de sens pour nos invité·es. Pour Julia Montfort, une telle question devrait s'accompagner de "pédagogie" pour être comprise : "On a l'impression que si on répond «oui», il vont tous arriver d'une manière désorganisée, comme une masse, une foule. La question est inquiétante en tant que telle."

Les Ukrainien·nes… et les autres

Pourquoi la France a-t-elle accueilli aussi facilement les réfugié·es ukrainien·nes, mais pas les autres ? Si la question du racisme est souvent évoquée, Antoine Laurent voit une autre explication : "Le conflit en Ukraine est facile à comprendre. On se bat contre un type un peu fou qui a envahi un pays sans prévenir. Et les politiques ont osé avoir un message relativement bienveillant vis-à-vis des Ukrainiens parce qu'ils savaient très bien qu'il y avait une adhésion de la population." 

Parler des trains qui arrivent à l'heure

Julia Montfort a réalisé une série documentaire sur l'accueil des exilé·es en France, celui qui marche. Une démarche rare qu'elle a du auto-produire face au refus des grandes chaînes : "En école de journalisme, on ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure. Mais est-ce que ce n'est pas aussi important de nourrir la population de ces images, de ces représentations de l'accueil tel qu'il se fait en France ?"

Pour aller plus loin

- Le livre de Julia Montfort, et sa série documentaire disponible sur sa chaîne YouTube. 
- Le livre d'Antoine Laurent, récit de son travail sur l'Aquarius. 
- Le site deGuiti News
- La chronique de notre cartographe sur les représentations des flux migratoires.


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