Liban : "Opération limitée, c'est la rhétorique de l'armée israélienne"

La rédaction - - (In)visibilités - 16 commentaires


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Il y a eu l'attaque des bipers, les bombardements aériens, la mort retentissante du chef du Hezbollah, et puis ce que l'armée israélienne appelle une "opération terrestre" dans le sud du Liban. En une semaine, plus d'un millier de Libanais·es sont morts, dont un grand nombre de victimes civiles. Plus d'un million de personnes ont dû être déplacées, sur 5,5 millions d'habitants. Neuf soldats israéliens, de leur côté, sont morts au Liban.

Comment décrire, raconter ce qu'il se passe depuis une semaine au Liban ? Quels mots employer ? Quelles images montrer ? Pourquoi, à la télé, voit-on les visages des militaires israéliens morts au combat, et beaucoup moins - voire jamais - ceux des civil·es libanais·es tués ? Le Liban est-il devenu, comme on l'entend ces derniers jours, un "nouveau Gaza" ? 

Pour répondre à ces questions, trois invités : Marwan Chahine, journaliste et enseignant franco-libanais, auteur du livre Beyrouth, 13 avril 1975, Autopsie d'une étincelle (éditions Belfond) qui revient sur le fondement de la guerre civile au Liban. Chiara Calabrese, en visio depuis Beyrouth, est chercheuse et elle travaille depuis des années sur le Hezbollah. Elle a publié en 2016 un livre sur ce sujet, Militer au Hezbollah.Ethnographie d'un engagement dans la banlieue sud de Beyrouth. Enfin, Emmanuel Haddad, lui aussi en visio depuis Beyrouth, est journaliste. Il couvre le conflit au Liban pour le quotidien franco-libanais L'Orient-Le Jour

"c'est en effet un désir d'invasion, un souhait d'invasion terrestre" 

"Offensive terrestre limitée". L'élément de langage de l'armée israélienne, concernant son opération militaire au Liban, a été repris par l'ensemble des chaînes télé françaises, avec plus ou moins de distance. Mais cette offensive est-elle vraiment "limitée", et cette expression n'est-elle pas employée pour atténuer une invasion militaire ? C'est l'avis de nos trois invités, et notamment de Marwan Chahine, journaliste franco-libanais : "C'est en effet un désir d'invasion, un souhait d'invasion terrestre." Ajoutant : "Le fait de parler d'opération limitée, c'est uniquement la rhétorique de l'armée israélienne." Il rappelle que la même rhétorique avait déjà été utilisée par l'armée israélienne en 1982, au moment de la première invasion terrestre au Liban. 

"ce sentiment qu'une vie arabe n'a pas le même prix 

Pourquoi, à la télévision cette semaine, a-t-on davantage vu les visages des soldats israéliens morts au combat, que celui des civil·es libanais·es tué·es ? Pour Marwan Chahine, ce choix éditorial dit une chose "terrible" : "Elle dit que les vies n'ont pas tout à fait exactement le même prix, en fait." Selon lui, le "choix délibéré d'humaniser certains, qui sont des militaires par ailleurs, plutôt que d'autres... il est lourd de sens". Concluant ainsi son propos : "Il y a vraiment ce sentiment - et moi je le vis aussi à titre personnel - qu'une vie arabe n'a pas le même prix." 

"Il suffit d'une seule émission de télévision..."

Nous revenons sur l'omniprésence sur les chaînes d'info du porte-parole de l'armée israélienne, Olivier Rafowicz (documentée par ASI cette semaine dans un papier signé Alizée Vincent). Pour Emmanuel Haddad, journaliste à L'Orient-Le Jour, c'est un problème. "Il suffit d'une seule émission de télévision... Quand vous disiez que le seul porte-parole de l'armée israélienne est passé neuf fois en 24 h sur les chaînes d'info, vues par des millions de téléspectateurs français, combien de personnes ont lu le portrait du père qui a perdu sa femme et ses enfants dans Le Monde ?".  

Pour aller plus loin 

- L'interview de Chiara Calabrese, accordée à Mediapart le 26 septembre 2024 : "Le Hezbollah se trouve face à une menace existentielle"

- La série passionnante en quatre épisodes de LSD sur le Liban : "Un pays après la guerre"

- Le livre de Marwan Chahine, Beyrouth, 13 avril 1975, Autopsie d'une étincelle (éditions Belfond), et celui de Chiara Calabrese, Militer au Hezbollah.Ethnographie d'un engagement dans la banlieue sud de Beyrouth.


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