"Mon colonel, bonsoir" : à la télé, l'omniprésent Olivier Rafowicz

Alizée Vincent - - Médias traditionnels - 38 commentaires

Le porte-parole de l'armée israélienne, interlocuteur privilégié des chaînes d'info

Il enchaîne les plateaux, pour commenter l'attaque iranienne envers Israël, l'attentat à Tel-Aviv survenu début octobre ou les "opérations" israéliennes au Liban. Comme à chaque embrasement militaire au Proche-Orient, Olivier Rafowicz, porte-parole de l'armée israélienne, est l'une des sources systématiques des médias français. Qui ne parviennent que rarement à lui poser de réelles questions.

"Mon colonel, bonsoir". Ledit colonel n'opère pas dans les forces françaises, mais dans l'armée israélienne. Le présentateur qui le salue en plateau, lui, n'est pas israélien, mais français. Nous sommes sur BFMTV, le 1er octobre 2024. Il est 21h04. Au cours de son interview télé, Olivier Rafowicz, porte-parole de Tsahal, invité en visio, sera appelé "mon colonel" huit fois par les journalistes de la chaîne d'info en continu, Éric Brunet et Alice Darfeuille. Son intervention dure dix minutes. L'occasion pour le colonel d'insister sur l'attaque "sans précédent" subie par Israël (sur qui l'Iran a tiré 180 missiles balistiques le 1er octobre). Il ne donne pas de détails sur la riposte à venir. Il raccroche à 21h14.

À 21h17, le revoilà sur LCI, dans l'émission de Darius Rochebin. Son intervention dure dix minutes. L'occasion pour le colonel d'insister sur l'attaque "sans précédent" subie par Israël. Il ne donne pas de détails sur la riposte à venir. Il raccroche à 21h27. L'échange se termine par une promesse : "On vous rappellera plus tard".

9 interviews en 24 heures

En 24 heures, Olivier Rafowicz aura été interviewé pas moins de quatre fois sur BFMTV. Neuf fois sur l'ensemble des chaînes d'info. À 12h31, sur BFMTV, pour indiquer que "des missiles de longue portée ont été tirés du Liban vers Israël". À 19 heures, sur BFMTV, en réaction à la "pluie de missiles" tirés depuis l'Iran vers Israël. Dans la foulée, sur Cnews (où il reviendra à 23h01). À 21 heures, sur BFMTV puis sur LCI (comme cité plus haut). Puis, le lendemain, à 7h30, Olivier Rafowicz est sur France info. Puis, à 8 heures, sur BFMTV. Quasi en même temps, Cnews publie une nouvelle interview du colonel.

Son message principal : cette "agression sans précédent va recevoir une réponse", elle va "recevoir une réaction", une réaction qui "sera décidée par l'échelon politique", "nous allons répondre à l'agression de l'Iran", "on fera ce qui doit être fait face à des gens qui veulent la destruction de l'État d'Israël". Le système de protection d'Israël a fonctionné. Le but de l'Iran était "de tuer des milliers peut-être des dizaines des centaines de milliers de personnes". L'Iran pousse "toute la région vers une escalade extrêmement dangereuse" car l'attaque "aura des ramifications"Olivier Rafowicz s'exprime aussi sur les bombardements d'Israël contre le Liban, perpétrés quelques jours plus tôt. Elles ont mené à la mort du chef du mouvement chiite, Hassan Nasrallah. Olivier Rafowicz, donc :"le Hezbollah voulait préparer un autre 7-Octobre et voulait envahir - je dis bien envahir - le Nord d'Israël".

Cette succession d'interviews fait suite à un grand nombre de passages médias, déjà, les jours précédents. Sur BFMTV le 30 septembrele 28 septembre, le 27 septembre, le 25 septembre. Sur LCI et CNews le 28 septembre. RTL le 25 septembre... Il multiplie les passages depuis plusieurs mois, en particulier, depuis le 7-Octobre. Alice Froussard, correspondante à Jérusalem pour plusieurs médias francophones, estime qu'il faut "questionner cette omniprésence médiatique". Selon la journaliste, "elle sert à justifier les propos et la version de l’armée israélienne. Une armée en guerre est un outil de propagande, et ne doit pas être la source unique des journalistes. Cette parole devrait être remise en contexte en plateau, mais malheureusement, ce n’est pas systématiquement le cas."

"Vous nous confirmez que cette riposte aura lieu ce soir ?"

Les journalistes n'ont pas profité de la présence d'Olivier Rafowicz pour questionner les attaques d'Israël sur le Liban ou sur Gaza. "On l'invite sur tous les plateaux télé et on l'interroge comme un interlocuteur classique qui détiendrait la vérité. A titre de comparaison, avons-nous vu autant le porte parole de l’armée russe sur les plateaux?", demande Alice Froussard. Sur BFMTV, le 1er octobre, les journalistes ont une question principale à la bouche. Quelle forme la riposte d'Israël envers l'Iran prendra-t-elle et surtout, aura-t-elle lieu "ce soir" ? "Est-ce que vous nous confirmez que cette riposte aura lieu ce soir ?" La question fait suite à un message diffusé "en boucle sur les télévisions" en Israël, affirme Éric Brunet. La vidéo indiquerait qu'une riposte devrait avoir lieu "ce soir dans tout le Moyen-Orient".

Lorsqu'Olivier Rafowicz répète, encore une fois, que l'État d'Israël "va réagir", Alice Darfeuille renchérit : "ce soir ?" Éric Brunet tente une dernière fois. "Nous nous interrogeons sur la nature de la réponse. On se disait fort naïvement quelle peut être la force d'une réponse à 180 missiles balistiques ?" Le colonel est interrogé sur un seul autre sujet : les tirs de l'armée israélienne contre une dizaine de "suspects menaçants" dans la bande de Gaza. Sur LCI, idem. Darius Rochebin demande des "précisions sur la nature de la riposte qui est prête contre la république islamique d'Iran". Puis, "est-ce qu'on peut dire" que le pouvoir politique israélien a pris sa décision et "qu'il reste à choisir le moment ?". Israël va-t-elle "frapper à Téhéran" ? "Est-ce que cette réponse se fera avec l'appui des États-Unis ?" "D'où vient le danger" iranien ?

Le journaliste de LCI demande s'il est envisageable qu'Israël tue "le guide suprême iranien Khamenei" ? Le colonel a-t-il "envie d'en découdre avec l'Iran"Catherine Jentile, journaliste LCI, enchaîne et demande à Olivier Rafowicz "quelle était son analyse" avant cette attaque. D'après notre recension, les autres interviews récentes d'Olivier Rafowicz consistent elles aussi, en large majorité, à lui demander de détailler les intentions et "analyses" d'Israël. 

Contradictoire

Le constat interroge aussi Marine Vlahovic, documentariste spécialiste du Moyen-Orient, ancienne correspondante en Palestine. "Pourquoi les journalistes font intervenir un porte-parole de l'armée qui va sortir les énièmes éléments de langage et la propagande habituelle plutôt que donner la parole à des correspondants sur place, qui vont aussi reprendre les éléments de l'armée, mais au moins, la contextualiser et permettre de prendre du recul ?" D'autant "qu'Olivier Rafowicz ne rencontre aucune contradiction" en plateau. 

Les parties adverses, elles, ne sont pas traitées de la même manière, observe Marine Vlahovic. "Hier, j'ai tiqué en écoutant un reportage radio sur une «opération communication» du Hezbollah. C'était vraiment annoncé comme tel. À l'inverse, lorsqu'il s'agit d'interventions de l'armée israélienne, personne n'annonce de but en blanc qu'il s'agit d'une opération de communication." 

D'autant que les "informations" d'Olivier Rafowicz ne sont pas tout le temps bonnes. En octobre 2023, le porte-parole a notamment répandu la rumeur selon laquelle "des enfants de quatre ou cinq ans" avaient été exhibés par le Hamas "dans des cages sur la place de Gaza". Ces enfants, en réalité, n'avaient pas été enlevés par le Hamas. Les images dataient d'avant le 7-Octobre et relevaient d'"une mise en scène s'apparentant à un jeu", résumait TF1.

"Votre question me dérange"

Lorsque les questions, parfois, le dérangent, le colonel ne se gêne pas pour le faire remarquer aux journalistes. "A plusieurs reprises on a vu que s'il est mis en difficulté, il veut arrêter les interviews", observe Alice Froussard. Lorsque des journalistes recontextualisent les propos d'Olivier Rafowicz, "certains ont été rappelés à l'ordre pour l'avoir fait de manière trop frontale". Cela a été le cas pour Mohamed Kaci, de TV5 MondeDe même, Olivier Rafowicz a qualifié d'"inadmissible" l'une des questions que lui a posée Julien Pain, de France info. Le journaliste l'interrogeait sur les tunnels du Hamas. Les reporters sur place, expliquait-il, avaient fait des observations contradictoires avec la version de l'armée israélienne. "Votre question me dérange, car c'est inadmissible qu'une démocratie comme la vôtre pose ce type de question à une autre démocratie", avait rétorqué Olivier Rafowicz. 

Le narratif que délivre le colonel dans les médias s'inscrit dans un contexte plus large, souligne Marine Vlahovic, un biais collectif des médias français. (Biais analysé fin 2023 par Télérama notamment). "Les médias appellent l'armée israélienne «Tsahal». C'est un acronyme en hébreu qui veut dire «forces de défense», comme si Israël n'attaquait jamais." À cela s'ajoutent d'autres personnages médiatiques similaires, invités fréquents sur les plateaux, comme Julien Bahloul, ancien porte-parole de l'armée israélienne (interviewé sur BFMTV le 1er octobre, et présenté comme "ancien journaliste, expert d'Israël"), Joshua Zarka, ambassadeur d'Israël en France (interviewé sur France inter le 1er octobre ou dans le Figaro) ou encore Éric Danon, ancien ambassadeur d'Israël en France (interviewé sur BFMTV le 2 octobre). Olivier Rafowicz fait partie des dinosaures en la matière. Il était déjà "sur les écrans de télévision du monde entier pendant la Seconde Intifada pour expliquer les positions israéliennes", racontait la quatrième de couverture de l'un de ses livres. C'était il y a vingt ans. 

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