"Don't look up" : "Ce qu'il manque, c'est le peuple"

La rédaction - - Fictions - 151 commentaires


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Est-ce un film apocalyptico-hollywoodien de plus, ou est-ce LE film, si désespérant qu’il soit, qui va aider les impuissants, les résignés, les passifs, les sceptiques, à enfin métaboliser l’urgence climatique ? Une chose est sûre : le film Don't look up, diffusé sur Netflix depuis le 24 décembre, et qui raconte l'impuissance des scientifiques à convaincre un gouvernement de l'imminence d'une catastrophe (une comète va détruire la terre dans les six mois), nourrit les conversations et analyses comme aucun autre film documentaire auparavant sur le même sujet, au moins depuis celui d'Al Gore. Quatre invités pour en débattre : Cyril Dion, militant, réalisateur et obsédé depuis des années par la recherche du récit le plus efficace pour alerter sur l’urgence climatique, réalisateur d'Animal, en salles. Valérie Zoydo, autrice et réalisatrice, elle aussi obsédée par la recherche du "storytelling" le plus efficace notamment sur l’adaptation au changement climatique. En visio, Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef de la revue Socialter, auteur de plusieurs critiques sur Don’t look up, Anne-Lise Melquiond, qui se dit "docteure en Apocalypse" : elle est autrice d’une thèse et d’un livre, Apocalypse show, quand l’Amérique s’effondre

Voici trois extraits de l'émission : 

Parler du dérèglement climatique à la télé, "entre deux autres trucs qui n'ont rien à voir"

Dans le film, les deux scientifiques se retrouvent sur le plateau d'un talk-show à devoir annoncer l'arrivée de la comète juste après la déclaration d'amour en direct d'une jeune chanteuse à son ex. Cyril Dion a t-il éprouvé ce décalage lors de ses passages à la télévision ? "On se retrouve dans des émissions comme ça, grand public, où on on se met à parler de la 6e extinction de masse (…) au milieu de deux autres trucs qui n'ont rien à voir, et puis juste derrière nous y a un truc hyper marrant qui fait plein d'audience (…) et on a très souvent le sentiment que ce qu'on dit n'a pas de portée, c'est comme si on tapait dans un truc mou, ça ne répond pas, parce que l'espace dans lequel on l'exprime n'est pas fait pour ça." 

MAcron à Dion : "Trump et Poutine se sont foutus de ma gueule" 

Don't look up montre un gouvernement totalement indifférent à ce qui menace la planète et obsédé par des enjeux de politique intérieure. Cyril Dion, qui a fréquenté l'Élysée pour proposer à Emmanuel Macron la Convention citoyenne, a-t-il constaté aussi le court-termisme des politiques en France ? "Ils sont comme ça", assure-t-il. Il a demandé au président : "Est-ce que vous vous rendez compte de la gravité, du tempo, à quel point ça accélère ?""Oui, je m'en rends compte, lui répond Emmanuel Macron. D'ailleurs j'en ai parlé avec Trump et Poutine à la garden party du 14 juillet, bon, ils se sont foutus de ma gueule. Trump dit que c'est pas vrai, Poutine m'a dit, la Sibérie, je suis hyper content parce qu'on va pouvoir se développer, faire de l'agriculture". Lorsque Dion propose la Convention citoyenne sur le Climat au président, celui-ci lui répond "ça m'intéresse, ça me permet de déplacer la contrainte, c'est pas moi qui vais imposer la contrainte, la contrainte elle va venir des gens, donc politiquement c'est intéressant." "À aucun moment on a l'impression d'avoir de prise sur le sujet-même [...] on arrive jamais à cet endroit-là", regrette Cyril Dion. 

"Ce qu'il manque, c'est le peuple"

Pour Philippe Vion-Dury, rédacteur en chef de la revue Socialter, ce qu'il manque dans le film, "c'est le peuple [...] Est-ce qu'il y a des réunions populaires ? Est-ce qu'il ya des moments où les gens se rassemblent ? Pas vraiment  [...] Quand le peuple surgit dans le film, c'est sous la forme de l'émeute, jamais du discours ou de l'association. [...] en face, le peuple est sans force." Il ajoute : "En choisissant la métaphore de la comète pour incarner le changement climatique, on a un événement cosmique extérieur, une catastrophe imminente, là où en fait notre catastrophe à nous elle est immanente, elle est partout, c'est nous qui la produisons [...] À partir du moment où c'est une comète, il n'y a rien d'autre à faire que de la détourner et donc d'employer des moyens techniques pour le faire, et donc d'employer des moyens de l'État [...] Le point de départ de tout ce scénario empêche tout discours de nature véritablement politique ou même révolutionnaire." 

"On est laminés"

Pendant l'émission, Cyril Dion fait un constat sombre sur le rapport de forces entre militants du climat et monde politique et médiatique : "On est laminés aujourd'hui. Je suis désolé de le dire, moi qui justement essaie de mettre beaucoup d’énergie à faire bouger les choses (…) Regardez les sondages des élections présidentielles. Est-ce que les gens qui s'apprêtent à voter considèrent que la question écologique est primordiale et qu'il faut absolument se mobiliser pour voter pour quelqu'un qui va faire quelque chose pour le changement climatique ? A priori, non."

Pour aller plus loin :

Apocalypse show, quand l'Amérique s'effondre, le livre de notre invitée Anne-Lise Melquiond.
- Comment raconter un nouvel imaginaire, celui d'une société post-carbone ? Une étude de notre invitée Valérie Zoydo, Quel storytelling dans l'industrie du cinéma et de la télévision ? 
- "Marcher ne sauvera pas le climat : comment les assos écolos se radicalisent", un article de la revue Socialter dirigée par notre invité Philippe Vion-Dury.
- La critique du Monde sur le film Don't look up.
- Le site du dernier film de Cyril Dion, Animal. 


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