Depp à Cannes : "Frémaux qui dit qu'il s'en fout, c'est une baffe dans la gueule"
La rédaction - - (In)visibilités - 59 commentaires
Il semble si loin le début du mouvement MeToo. C'était fin 2017 quand celui qui était encore le superpuissant producteur de cinéma Harvey Weinstein était accusé d'agressions sexuelles et de viol par près de 90 femmes. Et c'est entre autres au Festival de Cannes que le prédateur sexuel, condamné depuis à près de 40 ans de prison, trouvait ses proies. Mais en France, le déni continue. Pourtant plusieurs enquêtes révèlent des faits d'agressions sexuelles et de viol présumés commis par des acteurs français sans que rien ne se passe.
Le festival de Cannes, lui, s'enorgueillit de battre le record de nombre de femmes réalisatrices sélectionnées. Les femmes du cinéma, elles, parlent, alertent, s'organisent, interpellent ou se mettent en retrait comme Adèle Haenel. C'est de ce mouvement dans le cinéma, de la résistance aussi dans le milieu et de la place que les femmes décident de prendre qu'il est question aujourd'hui alors que le Festival de Cannes s'apprête à révéler le palmarès de sa 76ème édition. Pour en parler, quatre femmes ont répondu à notre invitation : Ariane Labed, actrice, réalisatrice, fondatrice de l'Association Des Acteurices de lutte féministe et antiraciste dans le cinéma, Fanny De Casimacker, déléguée générale du Collectif 50/50, Sabrina Bouarour, docteure en études cinématographiques et Véronique Le Bris journaliste, critique de cinéma et créatrice du prix Alice Guy.
"Johnny Depp sur le tapis rouge à cannes et persona non grata à Hollywood"
Le 16 mai 2023, Johnny Depp monte les marches du Festival de Cannes pour la présentation deJeanne Du Barry, le film de Maïwenn où il joue le rôle principal de Louis XV. Dans la salle Louis Lumière de la Croisette, Johnny Depp est longuement applaudi. Sur Franceinfo, une journaliste ne cache pas non plus son admiration pour l'acteur. "Ce qui est étonnant c'est que Johnny Depp est persona non grata à Hollywood, souligne Sabrina Bouarour. On ne veut pas le faire jouer dans les films car il est accusé de violences conjugales par son ex-femme, surtout dans l'après MeToo . Les commentaires des journalistes sont choquants, ça créé un malaise".
"THIERRY Frémaux fait le choix de résister à l'évolution"
Pour Fanny De Casimacker, en programmant ce film avec Johnny Depp, Thierry Frémaux "fait le choix de résister à l'évolution et s'inscrit en dehors de la réalité politique et sociale de notre monde. (...) On dit qu'on ne veut plus tolérer les violences, et lui, son geste, c'est de résister pour empêcher l'industrie de changer". "Ce qui me met le plus hors de moi, ajoute Ariane Labed, c'est d'entendre Frémaux dire qu'il s'en fout alors que pour toutes les victimes de violences sexuelles et sexistes, c'est une baffe dans la gueule et je ne supporte pas le fait qu'il ne puisse pas au moins l'entendre".
"J'ai une colère telle que je ne peux plus me taire"
Prendre la parole n'est pas facile quand on est un.e professionnel.le du cinéma surtout quand il s'agit de condamner. La preuve avec la tribunequ'Ariane Labed et son association ont initié dans les colonnes de Libération pour dénoncer un système qui soutient les agresseurs. La peur règne chez nombre de signataires du milieu du cinéma de ne plus être sollicité pour travailler. "J'ai décidé de parler et je le ferai partout où je suis invitée. J'ai une colère telle que je ne peux plus me taire, mais oui c'est dur", relate Ariane Labed. À quel point ? "Moi, je parle ouvertement de Thierry Frémaux, je suis aussi réalisatrice et je vais faire un film en septembre, je sais que le calendrier souhaiterait qu'on soit prêt pour Cannes. Mes producteurs me soutiennent mais ce sont des Irlandais".
"Séparer la féministe de l'artiste"
Lors de la conférence de presse de l'équipe du film "Le retour"
de Catherine Corsini, en lice dans la sélection officielle, l'animateur du point presse, pourtant journaliste lui-même, a tout simplement demandé aux journalistes présents de ne poser des questions que sur le film. L'air de dire : oublions les polémiques. Dans une enquête parue en avril 2023, Libération révèle des alertes sur les conditions de travail du tournage du film, une plainte pour agression sexuelle et une scène de masturbation impliquant une actrice mineure non recensée auprès des autorités comme la loi l'exige. "Philippe Rouyer est le président du syndicat de la critique, relève Véronique Le Bris. Il a le discours vieillot disant qu'il faut séparer la femme de l'artiste".
POUR ALLER PLUS LOIN
- La série documentaire en quatre épisodes "Les effrontées" disponible jusqu'au 3 juin 2023.
- "L'affaire Johnny Depp/Amber Heard", dans "La fabrique du mensonge", réalisé par Cécile Delarue et disponible sur le site jusqu'au 12 juillet 2023.
- Les études sur les femmes, la parité et la diversité dans le cinéma français menées par le collectif 50/50.
- La chronique de Pauline Bock sur l'aveuglement de certains médias à propos de l'affaire Johnny Depp.