Daniel Schneidermann, 27 ans d'émissions de critique médiatique

La rédaction - - Déontologie - 104 commentaires


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Vingt-sept années, une fois par semaine, à affûter les questions, à gratter les séquences médiatiques, à critiquer les producteurs de l'info, à déconstruire encore et encore… Après l'annonce par Daniel Schneidermann de la fin de l'animation des émissions hebdomadaires, il était impensable de ne pas recevoir le fondateur d'Arrêt sur images en plateau, pour regarder dans le rétro ces années de déconstruction médiatique. Parce qu'il y en a eu des "moments" forts de télévision, lorsque l'émission était diffusée sur la Cinquième dès 1995, des "moments" aussi lorsqu'elle est arrivée sur le web en 2007. Tout autant de récits qui nous ont collectivement marqués, et que nous avions envie de réinterroger avec le principal concerné.

"L'accueil par le milieu de la télé a été ambivalent"

1996. L'émission hebdomadaire Arrêt sur images débarque dans le paysage audiovisuel français. Daniel Schneidermann se souvient d'une "émission d'abord vue comme un ovni", dans un milieu journalistique peu enclin à faire son autocritique. Mais les responsables médias acceptaient de venir répondre aux questions et de se confronter à la critique de confrères. Comme ce 1er février 1999 où le directeur de l'information de TF1, Robert Namias, se fait cuisiner sur deux bidonnages, qu'il reconnaît sans détour, de l'émission Reportages… Mais au fur et à mesure, constate Daniel Schneidermann, responsables médias et journalistes venaient de moins en moins, affaiblissant la qualité des émissions. Sans eux, "c'est moins bien", estime-t-il.

"Nous aussi on cherche des bons clients !"

En janvier 1996, Daniel Schneidermann et son équipe reçoivent en plateau, après des semaines de discussion, le sociologue de gauche Pierre Bourdieu, sur le thème de la couverture médiatique de la très forte mobilisation contre la réforme des retraites d'Alain Juppé. Mais après la diffusion, dans un texte publié sur le Monde Diplomatique en avril 1996 (auquel Daniel répond le mois suivant), l'universitaire critique l'émission, estimant qu'elle est la preuve d'une incapacité de la télévision à opérer elle-même sa propre critique. Daniel Schneidermann assume d'utiliser les mêmes ressorts que la télévision. "Nous aussi on cherche des bons clients !"

"Rien n'a évolué, on a secoué la fourmilière et on a enterré le truc"

Un thème qu'Arrêt sur Images traite avec beaucoup de pertinence et d'acuité, c'est la question du traitement médiatique des banlieues et quartiers populaires. Il y a évidemment eu le décryptage de la couverture médiatique des révoltes après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois en 2005, déclenchant des révoltes pendant trois semaines. Cinq ans plus tard, le 1er octobre 2010, il y a aussi le piège tendu au Point. Sur le plateau d'Arrêt sur images passé sur le web depuis 2007, un invité : Abdel El Otmani, habitant de Clichy-sous Bois, qui a collaboré à quelques reprises avec des journalistes sur le terrain. Très critique lui-même sur le travail de la profession en banlieue, il révèle comment il a réussi à piéger un journaliste du Point en se faisant passer au téléphone pour une épouse de polygame. Dans son papier qui paraît le 30 septembre 2010, le journaliste du Point Jean-Michel Décugis insinue même avoir rencontré la femme en décrivant son physique. 

Nous avons retrouvé Abdel El Otmani, 13 ans plus tard. Il vit désormais à Toronto depuis 5 ans, dirige le département informatique d'un groupe hôtelier et ne voudrait revenir en France pour rien au monde. "Cette histoire en elle-même a été une perte de temps, confie Abdel El Otmani. Rien n'a évolué, on secoue la fourmilière, on met un petit coup, ça fait du bruit, une semaine après on passe à autre chose et on enterre le truc." Commentaire de Daniel : "Je suis à la fois épaté par l'itinéraire et accablé par le constat qui est vrai."

Pour les femmes, "il faut faire de la discrimination positive"

Autre thème devenu majeur dans les médias et donc chez Arrêt sur images, la médiatisation des femmes et des sujets qui les concernent : féminicides, violences sexistes et sexuelles, égalité… Daniel Schneidermann est catégorique : il y a un avant et un après #MeToo."MeToo est une des choses les plus fortes qui me soient arrivées. Ça m'a totalement amené à basculer mon regard, à prendre conscience des violences et dominations de toutes formes que subissent les femmes dans tous les domaines." Et comment ce bouleversement se matérialise dans la construction de l'émission ? "Avec une attention plus soutenue à la parité des plateaux, répond Daniel Schneidermann. C'est du boulot parce qu'elles se planquent, parce qu'il y a ce phénomène bien connu du sentiment d'illégitimité. D'une manière générale, les hommes n'ont pas ce type de scrupule. Il faut aller contre ce type de scrupule. Il faut faire de la discrimination positive."

Pour aller plus loin

- Notre émission de 1996 avec Pierre Bourdieu.
- L'émission des 20 ans d'ASI.
- En 2019, la rédactrice en chef d'ASI, Emmanuelle Walter, recevait déjà Daniel en tant qu'invité sur le plateau.


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