Covid : "Le Conseil de défense, ça attise le complotisme"

La rédaction - - Complotismes - 135 commentaires


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Échec des masques, échec des tests, application Covid délaissée : la critique de la gestion de la crise par les commentateurs français a largement été faite. Mais qu’en pensent les journalistes étrangers ? Surtout ceux d’un pays proche sans cesse comparé à la France, l'Allemagne ?  Pour y répondre, deux journalistes allemands, correspondants à Paris, ont accepté de porter le regard sur la gestion politique de l'épidémie en France : Britta Sandberg, correspondante de l’hebdomadaire Der Spiegel tiré à un million d’exemplaire chaque semaine, et Léo Klimm, correspondant du Süddeutsche Zeitung, quotidien le plus vendu en Allemagne après le tabloïd Bild.

Pour Léo Klimm, s'il y a un exemple illustrant la gestion autoritaire de la France de cette crise sanitaire, c'est l'attestation exigée par les autorités pour se déplacer en temps de confinement. "C'est l'essence même de l'autoritarisme français, analyse le journaliste allemand. Elle est infantilisante, elle est même humiliante ! Vous êtes dans une obligation de justifier vous-même ce que vous êtes en train de faire, si vous sortez votre chien, si vous faites un jogging autour de chez vous. Il y a un rapport au citoyen , un mot qu'on entend assez peu d'ailleurs, qui est assez autoritaire, directif, et donc pas vraiment emprunt de confiance"

"Si vous traitez les gens comme des petits enfants, vous allez avoir des réactions de petits enfants"

Une analyse confirmée par Britta Sandberg pour qui "c'est la preuve d'une certaine méfiance vis-à-vis des Français auxquels on ne fait pas confiance (...). Ce sont des mesures plus autoritaires que celles prises en Allemagne". Outre-Rhin, l'attestation pour se déplacer n'existe pas.  La journaliste du Der Spiegel ne comprend pas comment de telles mesures continuent à exister en France, alors même que la crise dure. "Le président de la République a dit qu'il faut apprendre à vivre avec ce virus (...) Mais combien de temps va-t-on obliger les Français à remplir ces attestations et pourquoi ?" Et Léo Klimm d'enfoncer le clou : "C'est très contre-productif. Si vous traitez les gens comme des petits-enfants, vous allez avoir des réactions de petits enfants, des gens qui se rebellent (...)  L'adhésion aux mesures, l'adhésion à la gestion de crise par le gouvernement français est très faible dans ce pays". 

"De gaulle est le problème, pas la solution"

Et que dire de la convocation du général de Gaulle par les commentateurs des chaînes d'info en pleine commémoration du cinquantenaire de sa mort, pour se demander comment il aurait agi  ? a nous fait bizarre (...), cela témoigne surtout d'un problème de la France de se projeter et d'être complètement dans l'aujourd'hui, analyse Léo Klimm. Elle est tournée vers son passé quand elle ne trouve pas d'autres figures que le général de Gaulle (...). On pensait qu'aujourd'hui [il pourrait y avoir d'autres] figures politiques inspirantes : Kamala Harris, Barack Obama ou Jacinda Arden en Nouvelle-Zélande..." Pour lui, "De Gaulle est le problème et pas la solution", comme il l'écrit dans une analyse remarquée du Süddeutsche Zeitung"La France est un pays qui a hérité de l'ENA et autres grandes écoles formant son élite, qui a la prétention d'avoir des gens particulièrement bien formés à la gestion de l'État et donc à la gestion de crise. Or, quand on regarde les chiffres [du Covid], la France est en queue de peloton". Pour Britta Sandberg, "on ne voit pas non plus une conscience politique des citoyens français qui diraient : l' État assure un certain cadre, mais moi aussi je suis responsable. Les attentes des Français envers leur État sont beaucoup plus grandes que les attentes des Allemands"

"La grande différence c'est qu'en Allemagne il y a régulièrement des conférences de presse d'Angela Merkel"

La communication de l'exécutif français a marqué les deux journalistes au tout début de la crise sanitaire.L'usage d'un vocabulaire martial par Emmanuel Macron, lors de son premier discours sur le Covid le 16 mars 2020, avec l'expression "nous sommes en guerre", a bien du mal à passer chez les deux correspondants allemands. Surtout quand il s'agit de le comparer à celui d'Angela Merkel le 18 mars 2020, axé sur la solidarité, ou celui du président allemand, Frank-Walter Steinmeier, le 11 avril 2020, affirmant à l'opposé :"Non, cette pandémie n'est pas une guerre" . "En tant qu'Allemands, ça nous fait frémir, commente Léo Klimm. Toutes les références à la guerre nous font un peu peur et on pense que c'est démesuré. Je le pense aussi à titre personnel (...) Est-ce que le vocabulaire de guerre s'applique ? Contre un virus, vraiment pas du tout (...) Ça n'a pas du tout fait ses preuves, puisque le discours a évolué et qu'il n'est plus question de guerre aujourd'hui". Et Britta Sandberg de renchérir : "Angela Merkel a fait moins de promesses. Ceux qui promettent beaucoup de choses créent une attente, et quand l'attente n'est pas satisfaite, c'est forcément la déception qui suit". Ce qui frappe aussi la correspondante à Paris de Der Spiegel c'est l'incapacité des journalistes à pouvoir interroger le président de la République sur sa gestion de la crise. "La grande différence c'est qu'en Allemagne, il y a régulièrement des conférences de presse d'Angela Merkel (...). On n'a pas vu le président de la République tellement accessible pour les questions". Pour Léo Klimm, c'est une question de respect vis-à-vis des médias. "Quand j'interroge en France les grandes entreprises ou des ministères sur des questions difficiles ou critiques, il y a souvent une réaction de faire l'autruche, de ne pas vouloir répondre, de faire le mort (...) Je ne connais pas ça dans les usages en Allemagne. C'est une question d'estime, et de la perception du rôle des médias et des citoyens". 

"Pourquoi la transparence serait-elle un obstacLE a la gestion de crise?"

C'est cette absence de transparence qui est incomprise des deux journalistes allemands, notamment du fait du Conseil de défense pour la gestion de la crise sanitaire. "Pour nous, c'est difficilement pensable, réagit Britta Sandberg. Il faut dans cette deuxième phase de la crise, être plus transparent, plus ouvert, il faut faire entrer le débat dans des institutions où l'on peut en discuter ouvertement. Le Conseil de défense symbolise tout le contraire". Léo Klimm va plus loin. "Je ne comprends pas techniquement pourquoi, pour gérer cette crise (...) on a besoin d'un régime spécial, dérogatoire d'urgence (...) Pourquoi matériellement c'est nécessaire de travailler dans ce format ? Ça n'aide pas à faire accepter, ça attise la méfiance et peut-être aussi les théories du complot, avec des complotistes qui vont se dire 'vous voyez ils agissent en catimini, en secret'. Pourquoi est-ce que la transparence, comme principe démocratique de base, [serait] un obstacle à la gestion de la crise ?" L'état d'urgence sanitaire n'a d'ailleurs pas été mis en place en Allemagne. 

Reste que, comme le souligne Léo Klimm, son pays n'est pas à l'abri d'une défiance. "Il y a une très forte opposition qui se montre, et qui fait des manifestations" contre les mesures de restrictions sanitaires. La dernière en date, émaillée de violences entre manifestants et forces de l'ordre, a rassemblé ce samedi 7 novembre 2020 à Leipzig, à l'est du pays, des milliers de personnes, sans masques. Rien de comparable avec les protestations anti-masques en France. 


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